Awa Marie Coll-Seck : « Les maladies qui affectent l’Afrique touchent aussi les autres continents »

ENTRETIEN. Cap sur Dakar pour le forum international Galien, où seront discutées les grandes problématiques de santé de demain. À la tête du comité scientifique, Awa Marie Coll-Seck, la charismatique ancienne ministre de la Santé du Sénégal

Paludisme, sida, tuberculose, Ebola, diabète…, les médecins, scientifiques, chercheurs en première ligne face à ces maladies qui font des millions de victimes chaque année sur le continent pourront enfin se retrouver chaque année à Dakar, la capitale du Sénégal, pour parler de leurs avancées dans le cadre du Forum Galien. Pour la première fois depuis sa création en 1970, ce prix prestigieux qui honore Claude Galien (v. 129-v. 216) , le père de la médecine moderne, veut étendre ses réseaux à l’Afrique, et ce au moment même où plusieurs pays africains sont confrontés à des résurgences d’Ebola (200 morts dans l’est de la République du Congo depuis le mois d’août) et du choléra, mais aussi à un nombre inquiétant de cas d’AVC, de diabète ou de cancer. L’énergique ancienne ministre de la Santé et de l’Action sociale, aujourd’hui ministre d’État auprès du président Macky Sall Awa Marie Coll-Seck passe à l’action avec Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine, qu’elle a longuement côtoyée tout au long de sa carrière. Aussi passionnées l’une que l’autre, les deux femmes ont particulièrement soigné le programme scientifique de ces deux journées clés pour la recherche en Afrique. Awa Marie Coll-Seck explique le programme et les ambitions de ce nouveau rendez-vous.

Le Point Afrique : Vous êtes à la tête de l’organisation du prochain Forum Galien qui se déroule pour la première fois au Sénégal, pourquoi maintenant ?

Awa Marie Coll-Seck : pendant longtemps, les rencontres sur le thème de la santé s’organisaient soit autour des pays du Nord avec une concentration spécifique sur des maladies qu’on disait du Nord. Et de l’autre côté des échanges toujours autour des mêmes problématiques sur des maladies dites du Sud. Or, aujourd’hui, l’Afrique a développé une spécificité dans le fait que de nombreuses maladies en plus des grandes pandémies s’accentuent sur son sol. Le continent ne peut donc plus être mis de côté. De nombreux scientifiques et chercheurs du monde entier ont compris que les maladies qui affectent l’Afrique affectent aussi les autres continents. Il faut donc trouver tout de suite des stratégies qui correspondent aux réalités africaines.

Justement, l’Afrique connaît une explosion du nombre de cas de maladies non transmissibles (MNT). Pourquoi ?

Pendant longtemps, tous les programmes de santé en Afrique étaient orientés vers les maladies comme le sida, le paludisme, la tuberculose, en fait des maladies qui nécessitaient des vaccins. Mais aujourd’hui, ce spectre de maladies s’est élargi.

On s’est rendu compte un peu tard qu’on avait aussi du diabète, des cancers : on parle énormément du cancer du sein, du cancer du col de l’utérus, on parle des maladies liées au tabac des maladies, les maladies cardiovasculaires, qui jusque-là n’étaient pas tellement connues. Ce sont désormais les maladies les plus fréquentes chez l’adulte. Autant, chez l’enfant, on est encore dans tout ce qui est infectieux, mais chez l’adulte on se rend compte qu’il y a énormément de maladies non transmissibles. Selon le bureau régional de l’OMS, la région connaîtra une augmentation de 27 % dans les quatre grandes catégories de MNT – MCV, cancer, maladies respiratoires chroniques et diabète de type II – au cours des 10 prochaines années. Il s’agit du taux d’expansion le plus élevé des maladies non transmissibles dans le monde. Les maladies cardiovasculaires, responsables d’un million de morts en Afrique chaque année, selon l’Organisation mondiale de la santé. C’est plus que le sida et le paludisme.

Pour donner un autre exemple, le diabète est la cause de 5 millions de décès par an en Afrique, soit une mort toutes les 6 secondes. Agir aujourd’hui permettrait de prévenir une catastrophe plus importante demain.

C’est donc un changement radical en termes épidémiologiques… 

Cela signifie surtout que les priorités des gouvernements devront changer. Ils devront mettre davantage l’accent sur les soins primaires, la prévention, le diagnostic et les traitements ambulatoires qui nécessitent tous des investissements coûteux dans les infrastructures, les personnes et les ressources. Cela représente un immense défi pour le financement des systèmes de santé publique. Mais si rien n’est fait, le système de santé peut imploser. C’est pourquoi ce forum intervient à un moment opportun.

Quels coûts ces nouvelles maladies induisent-elles pour les populations ?

Pour les personnes qui souffrent déjà de diabète, les traitements sont extrêmement onéreux pour le patient, sa famille, mais aussi les gouvernements. Dans certains pays, ces traitements ne sont pas disponibles pour tous. Dans d’autres, ils sont disponibles, mais le coût est un fardeau ­colossal. En Afrique, un médicament antidiabétique comme l’insuline n’est disponible que dans 40 % des pays et à un prix très élevé.

Pouvez-vous nous éclairer sur les causes qui expliquent la progression de ces maladies ?

Des nouvelles épidémies telles que le cancer ou le diabète progressent rapidement sous l’effet conjugué de facteurs extérieurs à la santé tels que l’urbanisation, les conditions économiques, la modification des habitudes alimentaires, l’augmentation de l’espérance de vie, sans oublier le changement climatique.

Pourtant la priorité est toujours aux maladies ­infectieuses et les pandémies, pourquoi ?

Les maladies infectieuses et autres maladies évitables restent les principales causes de décès en Afrique subsaharienne. Au sommet de la liste des tueurs se trouvent les infections respiratoires, suivies par le VIH/sida et les maladies diarrhéiques. Les principales maladies non transmissibles, les accidents vasculaires cérébraux et les maladies cardiovasculaires occupent maintenant la quatrième place sur la liste, tandis que la tuberculose et le paludisme ont été réduits à la cinquième et à la sixième place respectivement. Les maladies transmissibles continuent de dominer le paysage de la santé dans la région.

Il faut rappeler que le continent est au centre de la transmission de microorganismes infectieux de l’animal à l’homme, qui représente environ 75 % des maladies qui ont émergé ces dernières années. Cela est dû aux migrations massives de personnes, notamment des déplacés. Les institutions n’ont pas toujours la capacité à répondre aux besoins de santé de ces populations vulnérables. Mais cela tient aussi à la façon dont le financement de la santé mondiale a été organisé au cours des dernières décennies. Il y a eu des investissements massifs dans la lutte contre le VIH, le paludisme, mais cela a créé une sorte de système de santé en silo. L’accent est mis sur des infections aiguës, mais pas sur les maladies chroniques comme le diabète ou le cancer.

Décidément, l’urbanisation est un facteur déterminant…

Il existe une corrélation directe entre les risques de maladies infectueuses ou silencieuses avec l’urbanisation rapide de l’Afrique. Car l’urbanisation est aussi un déterminant de la santé. Quand vous venez de la campagne, rien que ce mouvement de la campagne vers la ville vous oblige a adopter d’autres habitudes. L’urbanisation doit prendre en compte ces problèmes en amont. Notamment et en urgence les problèmes d’assainissement et d’accès à l’eau potable. On ne peut pas avoir des bidonvilles où il n’y a aucun moyen classique d’accès à ces deux élements clés. L’urbanisation est allée très vite en Afrique et on n’a pas assez pris en compte ces facteurs. Il est temps de changer.

Vous avez été reçu le prix 2017 du meilleur ministre de la Santé du monde lors du World Government summit à Dubaï pour votre rôle dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola. La revue française Sciences Humaines a d’ailleurs souligné le rôle du Sénégal dans la limitation de la propagation du virus, quel enseignement avez-vous tiré de cette crise ?

Il est vrai que ma nomination pour ce prix m’a un peu surprise. Mais il faut reconnaître qu’à travers « des programmes de prévention et d’information » élaborés en amont à plusieurs niveaux, le Sénégal a réussi à circonscrire le seul cas d’Ebola qui avait atteint le pays. C’était un jeune homme d’une vingtaine d’années arrivé à Dakar fin août 2014 après avoir été contaminé en Guinée. Très rapidement, tous les individus qu’il avait côtoyés depuis la frontière guinéenne ont été identifiés. Puis ont été mis en quarantaine. En parallèle, le gouvernement a fermé temporairement sa frontière avec la Guinée et instauré un contrôle de la température de tous les passagers arrivant par voie aérienne et terrestre. Ainsi nous avons pu soigner ce malade puis le raccompagner dans son pays. Cette épidémie a tué plus de 11 000 personnes, mais surtout elle a révélé de graves lacunes dans la préparation de nos États à gérer des maladies susceptibles de se propager à l’échelle mondiale.

Nous avons beaucoup communiqué durant cette période en utilisant les langues nationales, en adoptant une approche communautaire avec les ONG. Je dirai tout simplement que chaque gouvernement doit se montrer responsable avant tout. Il doit faire son maximum pour éviter la propagation, pour cela il faut s’adresser à toutes les populations, être alerte sur les signalements que donnent les personnes concernées.

Mais aujourd’hui, face à des épidémies qu’on croyait disparues comme le choléra, qu’est-ce qu’il faut faire ?

La priorité est de renforcer les systèmes de santé. Il y a certains pays qui ne se rendent compte que plusieurs mois plus tard qu’il y a des centaines de morts mystérieuses. Et Ebola l’a démontré. Tout gouvernement qui veut s’attaquer au choléra doit avoir une approche multisectorielle.

On sait que dans le cas du choléra, c’est le manque d’hygiène et le manque d’eau qui sont les principales causes. Ça ne dépend donc pas seulement du ministère de la Santé. Et donc il ne faut pas que tous les problèmes de santé soient pris en charge par les seuls ministères de la Santé. Il faudrait créer des vases communicants avec le ministère de l’Éducation, par exemple. Des programmes de santé doivent être intégrés dans l’éducation des jeunes et des enfants. Quand on parle d’assainissement et d’eau, c’est une base, un déterminant fondamental de la santé. Donc il y a beaucoup d’acteurs qui doivent intervenir pour que les gens aient une bonne santé.

Et c’est ça, la leçon que nous devons tirer de toutes ces épidémies, notamment Ebola.

Comment assurer une bonne santé aux populations quand ils n’ont pas les moyens de s’offrir une mutuelle de santé ?

C’est notre challenge permenent. Au Sénégal, pour prendre un exemple que je connais : quand un particulier adhère à une mutuelle de santé communautaire, il finance la moitié de la cotisation, soit 3 500 francs CFA (5,34 euros) et l’État l’autre moitié. Nous avons institué la gratuité des soins pour les petits de 0 à 5 ans. Et de nombreux soins sont gratuits : les césariennes, la vaccination pour les enfants. Même si 50 % de la population est aujourd’hui couverte, il reste beaucoup à faire pour répondre aux besoins des populations à faible revenu et indigentes, conformément aux réalités financières. Surtout que l’assurance maladie pèse sur les finances de l’État. Durant le forum, nous allons aborder le sujet central du financement. Nous allons émettre un certain nombre de recommandations sur comment mobiliser des investissements privés, nationaux et étrangers pour stimuler davantage de partenariats.

Vous en êtes persuadée, la Recherche scientifique fera la différence dans les prochaines années, comment ?

Les Africains et les amis de l’Afrique doivent développer la recherche, il y a beaucoup d’initiatives qui sont menées et cela montre que ça bouge, mais il faut aller plus vite. Le continent investit environ 0,6 % de son PIB en recherche et développement et aucun de nos pays n’investit plus de 1 %, à l’exception du Malawi.

* Le premier forum Galien Afrique aura lieu à Dakar les 27 et 28 novembre.

PAR VIVIANE FORSON

Originally posted 2018-11-13 10:38:40.