«On est dans une situation de rivalité, de compétition et rien n’est gagné d’avance»

Sénégal

l’heure où les cinq candidats à la présidentielle sont en pleine campagne de séduction des anciens prétendants à la magistrature suprême recalés par le Conseil constitutionnel, le Pr Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis nous livre sa lecture de la situation.

Et c’est pour préciser entre autres que le débauchage par le président de la République de certains recalés est lié à la situation complexe du politique et des partis politiques au Sénégal mais aussi à la fragmentation de l’opposition. Seulement, il a tenu à indiquer que cette situation qui ne renforce pas la démocratie renvoie une très mauvaise image de l’homme politique aux yeux de la population.

Quel regard jetez-vous sur le jeu d’alliances qui s’organise autour des cinq candidats à la présidentielle ?

Compte tenu de la configuration de l’espace politique sénégalais à la veille des élections, on assiste actuellement à des opérations de récupération politique, de séduction à l’endroit de certains leaders de l’opposition. Mais vu la situation complexe du politique et des partis politiques, notamment ceux qui sont membres de l’opposition, la majorité plonge dans leur espace pour brouiller des pistes, pour récupérer des leaders. Mais, à mon avis, cette situation ne renforce pas la démocratie parce qu’on a besoin d’une opposition forte. En plus, les leaders politiques normalement sont reconnus de par leur attachement à un certain nombre de valeurs, de par leurs discours politiques et l’image qu’ils donnent aux citoyens. C’est pourquoi je pense qu’il n’est pas évident dans cette opération qu’elle (ndlr-majorité) puisse réussir parce qu’il ne s’agit pas de récupérer simplement les leaders, faudrait-il avoir, derrière cette mobilisation des leaders, une sorte de suivi des militants.

Donc, ce n’est pas gagné d’avance. Les leaders peuvent partir mais les militants peuvent rester pour  la simple raison qu’ils désavouent ces leaders qui n’ont pas de cohérence dans leurs convictions, dans leurs idées, des convictions versatiles au gré de la situation. L’autre lecture qu’on pourra faire de cette situation, c’est que ça ternit l’image de l’homme politique sénégalais. Peut-on croire à cet homme politique qui tient aujourd’hui un discours et qui change en fonction de la situation, de l’opportunité tout simplement parce qu’il y a des négociations, une sorte de marchandage politique pour trouver des postes et des fonctions à partir de leur adhésion à tel ou tel groupe.

Justement que vous renvoie l’image de ces leaders de l’opposition qui ont fini de changer leur robe pour devenir des souteneurs du président sortant ?

C’est vrai qu’on est dans une situation de rivalité politique, de compétition et que rien n’est gagné d’avance. C’est la raison pour laquelle la majorité vient chercher des voix au niveau de l’opposition. En plus, il y a une fragmentation de l’opposition. Il n’y a pas une entente. La majorité cherche aujourd’hui l’adhésion  de Mansour Sy Djamil, Aida Mbodj après avoir décroché Me Aissata Tall Sall. Tout cela montre quand même qu’il y a problème de l’image des hommes politiques sénégalais, de leurs convictions, de leurs capacités à représenter les intérêts  des populations, des positions pour leurs intérêts personnels. C’est ça qui justifie ces négociations. C’est parce que quelque part, il y a des offres politiques de postes, des opportunités qui leur sont proposées. Et ça c’est vraiment dommage et regrettable pour la consistance de la démocratie sénégalaise, pour l’image de hommes politiques et surtout de la vision que les citoyens auront de ces hommes politiques parce qu’ils seront capacités de changer des discours au gré des situations. Ça veut dire que derrière l’image qu’ils donnent auprès des citoyens, se cache l’opportunisme politique, qu’ils ne s’engagent pas vraiment auprès des populations pour défendre leurs situations, leurs intérêts mais plutôt un esprit partisan de partis politiques personnalisés et cela peut constituer une faiblesse de la démocratie sénégalaise.

Vous avez parlé du jeu d’alliances piloté par la majorité, qu’en est-il maintenant des quatre candidats de l’opposition ?

Les coalitions ne sont pas automatiques au sein de cette opposition même si certains cherchent à se regrouper et à faire des coalitions comme Idrissa Seck qui a pu récupérer pour le moment beaucoup de leaders. Aujourd’hui, certains pour justifier cette prouesse du président du parti Rewmi, disent qu’Idrissa Seck a changé de «virginité», excusez-moi du terme, qu’il est devenu plus fréquentable, qu’il a changé d’attitude, de comportement. Ou encore, il est devenu plus ouvert, il essaie de se rapprocher, il est devenu une autre personnalité moins arrogante, plus disposée à collaborer avec les autres. Donc, cette attitude s’explique par son besoin d’attirer justement les autres leaders, de capter certains qui ont du mal à retrouver une coalition. Naturellement, ça rentre dans le jeu et il peut aussi mobiliser les gens qui sont recalés, des leaders recalés surtout les militants du Pds puisque jusqu’à présent, ce parti n’a pas manifesté sa position par rapport à la situation et bien entendu, les militants sont dans l’expectative et une partie de ces militants peuvent être récupérés aussi bien par Idrissa Seck que par Madické Niang. D’autres rejoindront la majorité au pouvoir. Dans tous les cas, Idrissa Seck peut en profiter. Il y a aussi les militants de Khalifa Sall. Ceux-là aussi pourront être répartis, tout dépend maintenant des propositions des uns et des autres, des programmes des uns et des autres, la disponibilité des uns et des autres surtout au niveau des coalitions pour pouvoir ouvrir les portes à ces recalés et surtout faire en sorte qu’ils puissent intégrer en fonction des propositions et aussi de la pertinence de leurs programmes et aux personnalités ouvertes, prêtes à discuter, à intégrer les programmes des uns et des autres pour pouvoir mieux travailler ensemble dans cette compétition importante pour l’avenir du pays.

A votre avis, dans quelle type d’alliance peut-on espérer le plus de report des voix ?

Quand vous entendez les uns et les autres, c’est vrai que la majorité mise sur les leaders mais ce n’est pas suffisant parce que ces leaders, quelque part, sont discrédités de par leur changement d’attitude aux yeux de  l’opinion et des citoyens. Par contre, on sait que les coalitions au niveau de l’opposition par l’intégration des recalés ne vont pas poser des problèmes sauf bien sûr pour ce qui est de la possibilité de s’ouvrir aux autres et les intéresser par rapport à un programme et par rapport aussi aux liens affectifs qu’il y a puisque, naturellement, certains leaders de l’opposition peuvent se parler et d’autres sont en train de jouer le jeu politique. Donc, ça dépendra de la capacité des uns et des autres à s’ouvrir et aussi de leurs expériences politiques. Des leaders comme Idrissa Seck ont de l’expérience politique et cela permet d’attirer l’adhésion d’un certain nombre de recalés, par la suite aussi de mobiliser leurs militants parce que les militants qui sont dans l’opposition, à mon avis, dans leur majeure partie, vont rester dans l’opposition même si leurs leaders partent ailleurs parce qu’il y a une déception quelque part, et il est le risque de voir ces militants s’engager à sanctionner leurs leaders inconsistants en tenant compte de leurs discours.