Ulrich Jacques Diasso : « Il est urgent d’approfondir la recherche sur le climat »

Environnement

ENTRETIEN. La publication du rapport du GIEC sur le climat offre l’opportunité de revenir sur cette alerte lancée par les climatologues et météorologues africains de soutenir la recherche et ainsi aider le continent à mieux s’adapter aux changements climatiques.

C’est encore une saison des pluies meurtrière. Au Niger, les autorités ont enregistré vingt-deux morts le 6 août dans des inondations dues à de fortes précipitations ; dans l’État de Katsina au nord-est du Nigeria, ce sont près de quarante décès qui ont été recensés mi-juillet, et un mois plus tôt, en Côte d’Ivoire, on en dénombrait une vingtaine dans des circonstances similaires. Au-delà de ce triste bilan humain, il faut prendre aussi en compte les hectares de champs dévastés, les milliers d’habitations détruites, les dizaines de milliers de déplacés… Infrastructures inadaptées, insuffisance de la surveillance météorologique, les facteurs explicatifs ne manquent pas pour saisir l’ampleur du phénomène et des dégâts provoqués en Afrique. Mais il convient aussi, comme dans le Nord qui connaît un été caniculaire, de prendre la mesure de la crise climatique. Et en la matière, les scientifiques ne cessent de tirer la sonnette d’alarme.

Dans la revue Nature, en décembre 2017, les chercheurs de la Carnegie Institution for Science de Stanford (Californie) notaient qu’on s’acheminait vers un réchauffement climatique de quatre, voire cinq, degrés d’ici à 2100. Soit le modèle le plus pessimiste parmi ceux envisagés par le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dans son cinquième rapport. Signe que les engagements pris lors de l’accord de Paris pour contenir la hausse du réchauffement du climat en deçà de deux degrés sont loin d’être à la hauteur. À l’occasion de cet accord de 2015 (COP21), les chercheurs et paysans africains avaient d’ailleurs insisté sur la vulnérabilité du continent africain, alors même qu’il était – et reste – le plus faible émetteur de gaz à effet de serre. Conscients, eux aussi, de la gravité de la situation, un groupe de météorologistes et climatologues africains ont signé en juin un article dans la revue scientifique Nature Climate Change intitulé « Les obstacles auxquels sont confrontés les jeunes climatologues africains ».

« Le changement climatique et la dégradation de l’environnement constituent une menace substantielle en Afrique, mais sont aussi une opportunité pour le continent afin de développer les connaissances et les compétences locales, et de s’épanouir sur le long terme », écrivent ces scientifiques, qui appartiennent au réseau des jeunes spécialistes des sciences de la terre (Yess). Pour mieux comprendre comment l’Afrique est aujourd’hui vulnérable au changement climatique, et le rôle qui échoit à ces jeunes chercheurs, Le Point Afrique a contacté l’un des signataires de cet article, Ulrich Jacques Diasso. Spécialiste climat à l’Agence nationale de la météorologie du Burkina Faso, il a également appuyé la mise en place d’un programme Météo et Climat au sein de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Le Point Afrique : Sur quel type de données s’appuie-t-on pour dire que l’Afrique est particulièrement vulnérable au changement climatique ?

Ulrich Jacques Diasso : Nous nous appuyons d’abord sur nos propres observations. On continue d’enregistrer des cas de plus en plus sévères et de plus en plus fréquents d’inondations en période de mousson en Afrique de l’Ouest. Ce phénomène se produit généralement en juillet et en août et provoque de nombreux sinistres. Dans les pays sahéliens, la fréquence de ces phénomènes météorologiques extrêmes nous fait redouter un changement climatique. Quand on discute avec les agriculteurs – très dépendants de la répartition pluviométrique – du démarrage de la saison, on constate aussi des retards récurrents et de plus en plus importants du début de la saison pluvieuse.

Au-delà de ces observations, nous regardons les modèles climatiques. En la matière, les données publiées dans le rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) indiquent que ces phénomènes d’inondation sont voués à être plus fréquents et plus sévères, et qu’il faut s’adapter. En Afrique, les deux phénomènes majeurs sont la sécheresse et les pluies extrêmes. En dehors de cela, les zones côtières sont de plus en plus menacées par la montée des eaux due à la fonte des glaces engendrée par le réchauffement climatique.

Il faut aussi mentionner les impacts « indirects » dus aux changements climatiques : l’irrégularité des pluies provoque une baisse de la production agricole et une insécurité alimentaire. Étant donné que l’agriculture représente 65 % des emplois et contribue à 35 % du PIB, le continent reste particulièrement vulnérable aux aléas climatiques. D’autres impacts touchent également la production d’énergie dont 22 % est d’origine hydro-électrique. Au niveau du pastoralisme, on assiste aussi à des conflits récurrents entre agriculteurs et éleveurs du fait de la rareté des ressources (fourrage, points d’eau) – là encore liés à la mauvaise répartition des pluies.

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Ulrich Jacques Diasso est un scientifique et spécialiste du climat au sein de l’Agence nationale de la météorologie du Burkina Faso. © DR

Pourquoi est-il important de développer la recherche sur le climat précisément en Afrique, dans le contexte actuel ?

Il est établi que l’Afrique est l’un des continents qui seront le plus frappés par les impacts du changement climatique, alors que, au niveau industriel, il fait partie des continents les moins pollueurs. Au même moment, elle dispose des moyens d’adaptation les plus limités. Il y a donc urgence à développer ces moyens d’adaptation. Malheureusement, avant même que le réchauffement climatique ne retienne l’attention, l’Afrique était en retard en matière de recherche sur le climat et la météorologie. Il est donc urgent d’approfondir la recherche sur le climat afin d’aider le continent à mieux s’adapter.

Comment s’adapter en agriculture, secteur qui constitue une ressource essentielle de la plupart des économies africaines ?

Il y a, par exemple, la possibilité de développer des semis [méthode la plus économique pour obtenir un grand nombre de plantes, NDLR] de courte durée, qui permettent de pouvoir récolter avant que la pluie ne s’arrête. La synergie entre chercheurs, agriculteurs et décideurs politiques devient donc majeure.

Autre exemple : pour aider le paysan à mieux planifier la saison des pluies, on doit pouvoir s’appuyer sur les prévisions météorologiques. Le changement climatique a décalé les saisons. Le risque, pour le paysan, c’est de semer au mauvais moment, lors d’une première pluie qui ne marque pas vraiment le début de la mousson. La graine ne donnera rien et il n’aura plus de semis à disposition. L’information météorologique devient donc cruciale… Mais encore faut-il initier les agriculteurs à l’interprétation de cette information, et avoir une information de qualité. Or, les prévisions saisonnières, qui sont des prévisions d’un à trois mois, manquent encore de précision en raison du manque de connaissances sur le climat africain. Pour nous projeter dans l’avenir, nous devons mieux comprendre les phénomènes de mousson africaine de façon générale.

Vous dites dans cet article paru dans Nature Climate Change que le changement climatique est aussi une opportunité pour développer la recherche. Quelle recherche en particulier, et quels sont vos besoins ?

La météorologie et la climatologie sont deux disciplines sœurs importantes et transversales. On est dans une situation où le décideur attend de plus en plus de nos services climatiques, et nos services attendent d’être soutenus de leur côté par les résultats de la recherche.

La première chose, c’est la compétence humaine. Nous avons très peu d’institutions qui forment dans ces domaines scientifiques. Il faut saluer à ce niveau la création du Centre ouest-africain de service scientifique sur le changement climatique et l’utilisation adaptée des terres (Wascal). C’est un projet financé par le ministère fédéral allemand de l’Éducation, d’où sortent chaque année une cinquantaine de thésards et une quarantaine d’étudiants en master. On en trouve dans d’autres régions d’Afrique. Mais une fois qu’on arrive à former au-delà du cycle d’ingénieur, comment faire pour garder ces diplômés ? Bien souvent, le jeune chercheur va faire son post-doctorat à l’extérieur, et il va donc concentrer ses recherches sur des zones géographiques autres que l’Afrique.

Le matériel et les infrastructures font aussi défaut. Pour faire tourner modèles à long terme sur le climat, il faut des supercalculateurs. Ce sont des ordinateurs puissants, très coûteux et très difficiles à maintenir. Seules l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire en disposent. Lorsque j’ai dû faire des simulations pour ma thèse, j’ai dû partir deux ans à Cape Town.

Ensuite, nous avons des difficultés à obtenir des données. Cela est dû d’abord à un problème d’accès à Internet et de débit. Vous voyez la difficulté que nous avons simplement pour discuter [l’échange téléphonique sur WhatsApp est ponctué de coupures, NDLR]. Imaginez quand j’ai des tonnes de données à récupérer en ligne. Les données de modélisation climatique sont souvent très lourdes à télécharger.

Internet est donc un facteur limitant, mais il y a aussi un problème d’insuffisance de données pour le continent africain. Si on regarde le globe, on se rend compte que l’Afrique compte le réseau d’observation le moins dense. Nous manquons de stations météorologiques, mais aussi de collaboration entre services météo pour échanger nos données.

Enfin l’accès aux revues scientifiques est également un problème. Les papiers sont très coûteux, et on n’y a pas accès. Il nous arrive de demander à des collègues qui sont dans des instituts en Europe de nous les procurer.

Quelles sont les pistes pour lever ces obstacles ?

L’Organisation de météorologie mondiale (OMM) essaie de faire en sorte que chaque région économique de l’Afrique ait un centre régional en climatologie, et de renforcer les capacités des structures nationales en climatologie et en météorologie.

Elle essaie aussi de mettre en place le Cadre mondial des services climatologiques (GFCS), au sein duquel la recherche est un pilier.

Au niveau ouest-africain, la Cedeao [Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, NDLR] a adopté le programme météorologie de la Cedeao et le second pilier de ce programme reconnaît la nécessité de fournir un effort pour développer la recherche. L’idée est de se fédérer pour trouver une solution à un problème commun qu’est le changement climatique. Bien qu’il n’y ait pas encore les fonds nécessaires pour les chercheurs, il y a toutefois aujourd’hui une prise de conscience du décideur et une volonté de chercher à adresser le problème.

Originally posted 2018-10-21 15:42:13.