Santé et numérique, une association gagnante pour l’Afrique

TRIBUNE. L’adoption par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’une résolution pour la création d’une stratégie e-santé pourrait permettre au continent de mieux relever des défis.

Les innovations numériques, d’après l’OMS, concourent aux objectifs de développement durable, dont l’accès à la couverture sanitaire universelle. Avec la e-santé, les barrières d’ordre financier et technique tombent, et avec elles, l’accès aux soins devient plus facile, surtout pour les pays en transition.

Alors que le continent africain est soumis à de forts enjeux démographiques, sociaux et sanitaires, le manque d’infrastructures et d’accès aux soins perdure et dans le même temps la double peine s’installe. Les maladies infectieuses comme le paludisme touchent plus de 80 % de la population auxquelles s’ajoutent les maladies chroniques, qui, d’après l’OMS, tuent chaque année 41 millions de personnes, ce qui équivaut à 71 % des décès dans le monde. D’ici à 2030, ce chiffre devrait d’ailleurs considérablement augmenter de plus de 60 %, selon l’OMS.

Une révolution bénéfique

Face à ces défis, la e-santé constitue une vraie révolution pour refonder les systèmes de santé. Au-delà des programmes d’éducation à la santé auprès des populations ; la e-santé facilite l’accès au diagnostic, la prise en charge des patients grâce au diagnostic à distance et une meilleure observance. Elle constitue là un instrument de pilotage de la santé publique, de coordination des soins entre les différents acteurs de santé locaux – nationaux, privés et publics. Avec la e-santé, c’est également une meilleure qualité des soins, et une plus grande sécurité des patients grâce à la traçabilité des actes médicaux, la transmission de données entre établissements et professionnels de santé, et les dossiers médicaux numériques.

D’ores et déjà, plusieurs modèles locaux ont démontré leur efficacité dans les systèmes nationaux de santé :

i) La plateforme de télé-expertise « Bogou », développée par le Réseau en Afrique francophone pour la télémédecine et utilisée dans de nombreux pays d’Afrique francophones, permet aux professionnels de santé isolés de demander l’avis d’experts.

ii) Le projet Mos@n (Burkina Faso) dans l’équité et l’accès aux soins et l’information des femmes enceintes et des mères ainsi que toutes les personnes atteintes du VIH. L’enthousiasme est manifeste de la part des femmes enceintes (plus de 1 000 femmes suivies).

iii) La start-up GiftedMom inventée au Cameroun apporte un suivi, des conseils aux femmes enceintes (conseils sur la grossesse et nourrisson + rappel sur les sessions de vaccination, par exemple). Elle a entamé des actions dans les autres pays d’Afrique centrale.

D’autres exemples d’objets connectés conçus de façon frugale et adaptés aux usages locaux (EGG portatif, ECG pour les diagnostics de pathologies cérébrales, ou encore télédermatologie) attestent déjà des résultats efficaces.

Public et privé, main dans la main…

Partout sur le continent, l’innovation apporte donc des solutions de santé efficaces et ouvertes au plus grand nombre. Avec ces services et outils centrés sur l’usager, l’Afrique invente un modèle systémique, innovant, agile et économiquement soutenable. Le continent devient là un pôle d’attraction pour les entreprises qui souhaitent y implanter des solutions digitales au service de la population.

Si certains pays d’Afrique ont déjà fait le pari de la e-santé, la réussite globale de ces nouveaux modèles reposera sur l’étroite coordination entre les pouvoirs publics et les acteurs privés. Cette coopération devra s’inscrire dans un partenariat public-privé volontariste, intégrer toutes les initiatives issues du terrain au sein des politiques nationales de santé et surtout accompagner la professionnalisation des principaux acteurs du système.

… pour concrétiser des initiatives

C’est justement dans cette perspective que plusieurs initiatives signifiantes ont vu le jour : la première avec la création d’un diplôme interuniversitaire (DIU) en e-santé intitulé « Pratiques et innovation en santé alliant l’université des sciences, techniques et technologies de Bamako (USTTB) en collaboration avec les universités sœurs Cheick Anta Diop de Dakar et Cocody d’Abidjan, soutenu par la Fondation Pierre Fabre et de la société Tech Care for All. Le second programme est développé en Côte d’Ivoire autour de la création d’un master international sur la santé numérique en Afrique (Misna) créé par l’École supérieure africaine des TIC (ESATIC) à Abidjan en Côte d’Ivoire en partenariat avec le RIPAQS, l’UNFM et le CMNFIS. Ces démarches de renforcement de compétences constituent le levier indispensable à l’introduction durable de ces technologies du numérique dans les systèmes de santé en Afrique. Aujourd’hui, forte de toute cette culture d’innovation, de ses potentialités et de son esprit d’entreprendre, l’Afrique se place comme le laboratoire du futur pour la conception de nouveaux modèles de santé.

* Cheik Oumar Bagayoko est docteur en Médecine et en Informatique Bio Médicale, expert et ingénieur des Systèmes d’Information en Santé, membre fondateur avec l’Université de Genève du Réseau en Afrique Francophone pour la Télémédecine (RAFT) ; Franck Mansour Adeoti est directeur du RIPAQS-Afrique
Médecin. Biologiste, a un DEA en santé publique, est un spécialiste en toxicologie, du management de la qualité et des risques sanitaires et gestion de projets numériques ; Emmanuel Blin est président fondateur de Tech Car For All (TC4A). Il est l’ancien directeur de la Stratégie de Bristol Myers Squibb ; Eudes Ménager est médecin urgentiste spécialisée en médecine neurovasculaire. Elle est directrice de l’Innovation à la Fondation Rotschild.

PAR LE PR CHEIK OUMAR BAGAYOKO, LE DR FRANCK MANSOUR ADÉOTI, EMMANUEL BLIN ET LE DR EUDES MÉNAGER*

Originally posted 2018-11-08 00:39:03.