Présidentielle au Sénégal : un photoreporter raconte la campagne en images

Sénégal

Meetings réglés au millimètre, militants convoyés par bus entiers, prises de paroles enflammées ou improvisations de débutant… Retour en images sur la campagne présidentielle sénégalaise, avec le photoreporter Sylvain Cherkaoui.

Trois semaines de campagne, de bains de foule, de meetings, de marées humaines beige et marron accueillant dans la liesse le président sortant Macky Sall, auxquelles répondent les marches orange d’Idrissa Seck ou vert d’Issa Sall. Depuis le 3 février, les cinq candidats à l’élection présidentielle ont battu campagne à travers tout le Sénégal pour galvaniser les électeurs et les rallier à leur cause.

De Touba à Guediawaye, et de Joal à Pikine, le photoreporter Sylvain Cherkaoui* est allé à leur rencontre. Il décrypte cette campagne qu’il a suivie à travers son objectif, livrant son témoignage sur les particularités de chaque candidat, son rapport à l’image, ses postures, ses moyens…

• Macky Sall : le bulldozer

LA CAMPAGNE DE MACKY SALL A COÛTÉ CHER, ET ÇA SE VOIT

« La campagne de Macky Sall n’a rien à voir avec celle de ses concurrents. Il est le seul à disposer d’un bus à impériale, le seul qui puisse se permettre de réaliser des images par drone. Sa campagne a coûté cher, et ça se voit. Aucun autre candidat ne propose à ses militants autant de produits dérivés : en meeting, tout le monde a sa casquette, son t-shirt, sa pancarte… Et l’on distribue des porte-clés à son effigie. »

« Très professionnel, Macky Sall est le plus efficace en meeting. Pour un photographe ce sont les plus faciles à couvrir : il y a une vraie zone sécurisée pour que les photographes puissent travailler dans les meilleures conditions. »

« Il sait que pour gagner la bataille de l’image, il faut choyer les photographes, les vidéastes, les journalistes… Tout est réglé comme sur du papier à musique. »

Idrissa Seck : le professionnel

 

 

 

IDRISSA SECK DÉGAGE UNE IMPRESSION D’ASSURANCE. MAIS ON SENT QUE SA POSTURE EST MAÎTRISÉE

« Idrissa Seck, c’est un peu l’éternel candidat, qui en est à sa troisième campagne présidentielle consécutive. Cette expérience se ressent là où passe sa caravane orange. Sa campagne est celle d’un professionnel de la politique. »

« Il a moins de moyens que Macky Sall mais Idrissa Seck est bien organisé et a fait en sorte que ses militants viennent en masse et soient visibles grâce à une distribution généreuse de matériel de campagne : des t-shirts, des vuvuzelas aux couleurs de sa coalition, Idy 2019. »

« Idrissa Seck dégage une impression d’assurance, il sourit beaucoup. Mais on sent que sa posture est maîtrisée. Il garde une certaine distance, contrairement à Madické Niang, qui joue la carte de la complicité. »

Madické Niang : le « tonton »

IL COMPENSE LES ALÉAS DE SA CAMPAGNE PAR SA FORTE PRÉSENCE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

« Madické Niang, c’est « le sympa » de la campagne, celui qui fait des live sur les réseaux sociaux, qui n’est jamais avare d’une blague potache. On le sent très proche des populations. C’est le « tonton » de la campagne, comme le surnomment les Sénégalais. »

« Il y a cependant plus d’improvisation chez lui, on sent que c’est la première fois qu’il se lance dans une élection présidentielle. Sur le port de Joal Fadiouth, par exemple, il est allé à la rencontre des pêcheurs, qui ne l’attendaient pas. Les gens se sont quand même massés autour de lui, sans doute plus par curiosité que militantisme, et il a pu leur livrer son discours. »

« Il est à l’aise, c’est un bon orateur qui sait se donner un air sympathique, facile d’accès. Il compense les aléas de sa campagne et ses moyens limités par sa proximité avec les gens et sa forte présence sur les réseaux sociaux. »

 Issa Sall : l’amateur

C’EST SA PREMIÈRE CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE,  IL Y A UN PEU D’IMPROVISATION ET D’AMATEURISME

« Je n’ai pas suivi Issa Sall tout au long de sa campagne car je ne peux pas être partout, tout le temps, avec chaque candidat. Mais là où je me trouvais à ses côtés, sa campagne semblait plus laborieuse que pour les autres. Je ne l’ai pas vu soulever les foules. »

« L’homme en survêtement vert sur la photo lui indique la direction d’un village où l’attend un comité d’accueil. Issa Sall n’a pas suivi son conseil et s’est retrouvé à Dahra Djoloff, où il n’a trouvé personne. Il a dû rebrousser chemin vers le village de Ndieyenne, où il a été accueilli par quelques militants. On devinait une certaine déception sur son visage. »

« C’est sa première campagne présidentielle, aussi il y a un peu d’improvisation et d’amateurisme chez cet universitaire. Mais la campagne n’a sans doute pas été facile pour lui, avec les heurts qui ont impliqué ses militants, à Tambacounda notamment. »

Ousmane Sonko : le révolutionnaire

IL Y A UNE HYPER-SÉCURISATION AUTOUR D’OUSMANE SONKO

« Il est le plus jeune des candidats (44 ans) et c’est sa première campagne. Le drapeau sénégalais agité sur la photo illustre bien ses positions patriotiques, de même que les poings levés, qui traduisent la posture révolutionnaire adoptée par Ousmane Sonko. »

« La photo prise dans la foule fut difficile à réaliser car j’étais écrasé contre une barrière. À son arrivée dans le stade, c’était le chaos : une vingtaine de molosses de la sécurité on écarté tout le monde sans ménagement, y compris les journalistes. »

« C’était violent ; bien plus que lors des meetings d’autres candidats. Il y a une hyper-sécurisation autour du candidat Ousmane Sonko. Le meeting, ensuite, s’est déroulé plus calmement. »

(*) Sylvain Cherkaoui, photographe indépendant basé à Dakar depuis 2012, collabore régulièrement à Jeune Afrique. Il est l’auteur de nombreux reportages au Sénégal, au Mali, au Nigeria ou encore en Centrafrique.