Algérie : faire avec une vie de plus en plus chère

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REPORTAGE. Loyer, alimentation, soins médicaux, énergie… : les prix de nombreux biens et services n’arrêtent pas de grimper au grand dam des populations.

L’homme reste debout dans le tramway qui vient de quitter la place des Fusillés en direction de l’est de la capitale, Derguana. La petite fille d’à peine un an qu’il porte hurle. « Elle a mal. Je ne peux pas m’asseoir. Merci », répond le quadragénaire pour décliner l’invitation de tout passager qui lui propose généreusement son siège. Son téléphone sonne. Il raconte à son interlocuteur sa pénible journée passée à l’hôpital. Son bébé souffre d’une infection au foie. Il lui dit la gorge nouée son impuissance face à la situation. À la demande du médecin, il doit lui faire une radio très rapidement. Mais il n’en a pas les moyens. Et la personne à qui il vient de demander de l’aide ne répond plus. Le père désemparé descend avant le terminus.

Il faut de l’argent pour se soigner, car le secteur public est défaillant

« La vie devient de plus en plus difficile pour tout le monde. Mais c’est toujours insupportable d’entendre qu’on ne puisse même plus soigner un bébé convenablement. Qu’un père n’ait pas 4 000 dinars (29,59 euros) pour une radio », réagit Salima, une passagère. Malgré un système de santé gratuit, de nombreux Algériens payent cher pour accéder à des soins dans le privé qui ne sont pas forcément de qualité. « Vous êtes souvent obligé de recourir au privé quand vous devez faire une batterie d’analyses et de radios. Dans un établissement public, les machines sont parfois en panne. D’autres fois, vous devez attendre votre tour et cela peut prendre beaucoup de temps », résume-t-elle avant de descendre de la rame.

Dans le pays, tout le monde se souvient de l’histoire de Yacine, un bébé de 11 mois qui est décédé suite à une simple bronchite en septembre dernier. Sa maman a dû attendre dix heures aux urgences pédiatriques d’un centre hospitalo-universitaire à Alger pour que son enfant, qui était alors en détresse respiratoire, soit hospitalisé. Alors que son état de santé s’aggravait, le « seul respirateur dont dispose le service » était « indisponible », selon Liberté. « Faute de soins, Yacine a rendu son dernier souffre, dimanche à 15 h 10, soit un peu plus de 24 heures après son arrivée », rapportait le quotidien.

Les prix, tous les prix augmentent

Dans le privé, une simple consultation peut aller jusqu’à 3 000 dinars (22,30 euros). Le coût d’un bilan général se situe entre 6 000 (44,60 euros) et 7 000 dinars (52,04 euros). Pour les Algériens, tout augmente sauf le smic, qui demeure à 18 000 dinars (133,14 euros). Fin octobre, l’Office national des statistiques (ONS) a publié des chiffres montrant une hausse extraordinaire des prix des produits de consommation. « Légumes, fruits, viandes, services : les prix de tous les produits et services ont augmenté de façon très importante entre 2001 et 2018, avec des hausses à trois chiffres. La pomme rouge a connu la plus forte augmentation à plus de 1 000 % », écrit TSA.

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A Bab El Oued, dans un marché, un moment de course. © DR

Hassiba et son mari Kamel ont téléchargé une application pour calculer et surtout contrôler leurs dépenses. « Après à peine vingt jours, on s’est retrouvés avec des dépenses de 75 000 dinars (554,75 euros). On n’a pas fait de grands achats. On n’a été dans aucun restaurant. Ce qui a pesé, ce sont les frais du médecin et des médicaments quand mon mari était tombé malade », relate cette jeune ingénieure de 31 ans. Dans les 75 000 dinars, le prix du loyer de 45 000 dinars (332,85 euros) par mois dans la banlieue d’Alger n’est pas pris en compte selon elle. « Avec la location, on se retrouve facilement avec plus de 100 000 dinars (739,67 euros) de dépenses », dit-elle avant d’ajouter : « On ne sait pas comment font les couples avec quatre enfants et dont seul le mari travaille. »

Besoin de multiplier les sources de revenus

Père de trois enfants, Salim par exemple s’est mis immédiatement à chercher un autre travail après avoir obtenu sa retraite anticipée. L’homme à la cinquantaine bien entamée arrive à décrocher un emploi dans une entreprise proposant des services de transport via une application. « Même avec deux revenus (dont la pension de retraite), il n’y a pas les moyens d’économiser. À chaque fois, vous avez soit une facture d’électricité à régler, soit une ordonnance ou le loyer qui pointe son nez. Je n’arrive même pas à acheter un pantalon, pour tout vous dire ! », lâche ce conducteur. « Tout a augmenté dans le pays depuis quelque temps déjà. Mais je ne comprends pas pourquoi », ajoute-t-il.

Haro sur les spéculateurs

Hassiba pointe du doigt les spéculateurs qui profitent de la situation actuelle. Après la chute du prix des hydrocarbures intervenue dès 2014 et la baisse drastique des revenus en devises du pays, les autorités ont pris plusieurs décisions dont la suspension de l’importation de près d’un millier de produits. Ces mesures ont provoqué de grandes perturbations dans l’approvisionnement du marché. « Les producteurs ont profité de la situation pour augmenter leurs marges. Sinon comment expliquer l’augmentation des prix de certains produits de base comme la pomme de terre, dont le kilo coûte désormais entre 80 et 90 dinars », souligne Kamel, son mari, également ingénieur.

Les spéculateurs ne sont pas seulement sur les marchés des fruits et légumes, selon lui. « Cela fait quelques jours que je cherche de la vitamine D sous forme d’ampoules. J’ai fait plusieurs pharmacies à Alger. Sans succès », enchaîne Hassiba. Un pharmacien du centre-ville lui conseille d’aller chercher le produit à la Pharmacie centrale. L’homme la met en garde contre certains de ses confrères qui spéculent en gardant précieusement certains produits pour les revendre trois fois plus cher, voire plus. « Il m’a parlé de l’un de ses confrères qui lui a montré une boîte de vitamine D, affirmant qu’on lui a ramené le produit de l’étranger. Il lui a répondu que s’il l’avait acheté en Europe, il n’y aurait pas eu d’écriture en arabe sur la boîte », relate-t-elle.

Le dinar se dévalue doucement mais sûrement

La cupidité des opérateurs locaux explique-t-elle toutes ces hausses qui touchent aussi bien les produits que les services ? Mère de deux enfants, Amina rappelle la dévaluation du dinar. « La pâte à tartiner qu’on achetait à 400 dinars pour les enfants, se vend actuellement à 800 dinars », précise cette jeune maman de 38 ans. En quatre ans, la monnaie nationale a perdu 50 % de sa valeur face au dollar. Certaines entreprises ont annoncé des augmentations dès janvier 2018. « Chers consommateurs, nous nous adressons à vous pour porter à votre connaissance que la Sarl Laiterie Soummam a été contrainte d’augmenter les prix de certains de ses produits. La pérennité de notre entreprise exige d’élever légèrement les prix, soit un dinar par pot de yaourt », écrit le groupe de produits laitiers.

L’électricité coûte plus cher

« La parité de l’euro qui était de 120 dinars est passée actuellement à 138 dinars et la quasi-totalité des matières premières et ingrédients sont importés », ajoute la même source, qui souligne aussi l’impact de l’augmentation du coût de l’énergie et des carburants. « On nous dit qu’il n’y a pas d’augmentation du coût de l’énergie. Mais prenez vos factures d’électricité d’il y a quatre ou cinq ans et comparez-les avec les factures d’électricité de cette année. Vous verrez qu’il y a une différence alors que vos habitudes n’ont pas changé. Le carburant aussi a augmenté et le plein qui nous tenait le temps d’un trajet ne fait même pas la moitié », remarque Hassiba.

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Dans un marché d’Alger pendant le ramadan. © DR

Diversion ?

Baisse du prix des hydrocarbures ? Crise économique ? Dévaluation du dinar ? Manque de contrôle ? Ces raisons ne convainquent pas vraiment Mohamed. Ce chauffeur de taxi d’un peu plus de soixante ans croît plutôt déceler une « diversion ». « C’est une manière de détourner l’attention des gens à l’approche des élections. On veut les occuper avec leurs besoins primaires », pense-t-il. Pour lui, le système a toujours fonctionné de cette façon. Pourquoi dérogera-t-il à la règle cette fois-ci ? « Il y a une crise qui se fait ressentir partout dans le monde. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en France avec la hausse du prix du carburant », l’interrompt une cliente montée à l’arrière de la voiture.

Mohamed en rit avant de lâcher : « Le pays des mandarines à 400 dinars (2,97 euros), on aura tout vu ! » Une diversion ? Le raisonnement du chauffeur de taxi ne paraît pas grotesque pour Hassiba. « On n’aurait pas tort de faire le lien quand on constate que personne ne se préoccupe des élections aujourd’hui. C’est le dernier des soucis des Algériens alors que les enjeux sont importants et quand on sait qu’il y a moyen de contrôler », avance Hassiba. « En même temps, nous avons un véritable problème avec le travail au sein de notre société. En agriculture par exemple, l’État offre beaucoup de facilités. Peu de gens s’y intéressent. Et même avec cette flambée des prix, les magasins de vêtements, les supermarchés, les cafés sont des endroits qui ne désemplissent jamais », soutient la jeune femme. De quoi s’interroger en effet.

Originally posted 2018-11-13 10:22:22.