Sénégal : le marché de l’érotisme, ciment des couples dakarois

Sénégal

Les Sénégalaises n’ont pas la séduction timide. Perles de hanches aux cliquetis excitants, huiles érotiques, vibromasseurs… Les femmes, souvent mariées, réunissent un véritable arsenal. Reportage dans les boutiques d’accessoires de Dakar.

Chemisier bleuté et perles ocres aux oreilles, Aminata fait les magasins. Rien d’inhabituel a priori, si ce n’est le contenu du panier de courses : menottes peluchées, fouet à lanière et bas en résille. Aujourd’hui, la trentenaire compte bien renouveler toute sa « garde-robe pour le lit ».Dans cette friperie du quartier de Scat Urbam, les choix d’accessoires érotiques ne manquent pas pour Aminata. Des huiles « excitantes » aux vibromasseurs en passant par les petites tenues, la vendeuse est catégorique, « il y en a pour tous les goûts ». Bien malin, pourtant, qui parviendra à deviner sans confidence la double-activité du magasin. Avec son intérieur où s’exposent robes à motifs, rien n’indique qu’il s’agit là d’un sex-shop généreusement fourni.

Menottes pour jeux érotiques

Menottes pour jeux érotiques
©Axelle Bouschon

Commerce sous le manteau

La faute à une loi trop stricte, soupire la vendeuse. « Les jeux sexuels, la masturbation, ici, les gens n’en parlent pas. C’est très mal vu de vendre ou d’acheter des produits, alors que tout le monde les utilise. » Aminata acquiesce. « Les Sénégalais se cachent, mais ce sont tous de vrais nymphomanes ! »

Pour profiter des produits, il faut faire partie du cercle des initiés. « C’est la méthode du bouche-à-oreille ». Les clientes viennent sur le conseil d’amies et font connaître leurs intentions d’achat par le biais d’un mot de passe. « Si une femme rentre et me dit le mot de passe, je l’amène dans l’arrière-boutique. Si elle ne dit rien, c’est qu’elle est seulement venue pour m’acheter les robes, alors je ne fais rien. »

Des précautions jugées nécessaires pour celle qui effectue cette double-activité depuis près de trois ans : « Je suis obligée de faire attention. Si la police savait que je vends des produits, j’aurais des problèmes. Dans le voisinage aussi, on me ferait des remarques. Alors je reste prudente sur l’identité de ceux qui veulent acheter mes produits. »

A quelques centaines de mètre de là, Bineta se fait moins discrète. Si la devanture de sa boutique de lingerie ne laisse rien filtrer, dès la porte passée, la nature des articles ne saurait tromper. A côté des soutiens-gorges en dentelle s’exposent fièrement perruques, costumes érotiques, huiles excitantes, gants de velours ou strings masculins.

Inspiration hollywoodienne

Et encore, assure Bineta, tout ça, c’est « rien » à côté de la marchandise qu’elle propose quand elle a « tout son stock ». Vibromasseurs, oeufs masturbateurs, anneaux péniens, ou encore cristaux de menthe « pour garder la puissance toute la nuit », celle qui se décrit comme une « professionnelle » du domaine donne accès à la marchandise la plus large possible pour sa clientèle. Les prix sont de 10.000 francs CFA (15 euros) pour un jeu sexuel, 15.000 francs CFA (23 euros) pour un vibromasseur à 20.000 francs CFA (30 euros) pour une huile excitante.

Bas en résille, perruques et gants en velours pour jeux de rôles ou encore string masculin sont proposés à la clientèle.

Bas en résille, perruques et gants en velours pour jeux de rôles ou encore string masculin sont proposés à la clientèle.
© Axelle Bouschon

Un budget conséquent qui ne décourage pas les clientes. « Les fouets, les costumes et les menottes sont très à la mode avec les films et séries américaines. Mes clientes m’appellent et me disent : « Tu as vu cette actrice dans le film hier soir ? Je veux la même perruque pour rejouer la scène à mon mari.  »

Plus loin, au marché HLM de Dakar, les accessoires érotiques s’exposent en toute liberté. Les étalages de perles de hanches – des ceintures portées par les femmes dans l’intimité afin de provoquer le désir chez leur mari – sont légion et remportent un franc succès auprès des Dakaroises. Comme cette femme mariée, la quarantaine, qui récupère sans gêne sa ceinture de hanches commandée sur mesure afin qu’il y soit rajoutée l’inscription « Viens me baiser ».

Sexualité licencieuse et romantisme fleur bleue

Des inscriptions suggestives qu’on retrouve aussi sur des débardeurs et nuisettes, dans un petit stand placé entre deux étalages de tissus traditionnels. « Mon amour, viens me réchauffer la chatt (sic) j’ai envie de toi », « Papa chéri baise moi », « Délicieux pénis »… les incitations aux ébats amoureux se déclinent par dizaines. Des tenues destinées à la seule vue de l’époux, auxquelles les femmes sont libres d’ajouter une touche personnalisée : « Souvent, elles font imprimer des photos d’elles dénudées », explique la vendeuse.

Aux débardeurs et culottes aux imprimés salaces s’opposent des taies d’oreillers, draps, et tasses d’un romantisme quasi désuet. Un étonnant mélange entre kitsch fleur bleue et séduction presque pornographique qui, assure la tenante du stand, favorise amour et plaisir sexuel.

Chaque débardeur est vendu pour 6000 CFA pièce, et est <em>customisable </em>à souhait.

Chaque débardeur est vendu pour 6000 CFA pièce, et est customisable à souhait.
© Axelle Bouschon

Ici comme partout ailleurs, ce sont les femmes qui achètent. « C’est normal, glisse Adjia, 26 ans. Au Sénégal, les hommes aiment les femmes qui prennent les devants. Eux ils n’osent pas, ils ont honte. Alors quand ils veulent quelque chose, ils envoient leur épouse le chercher. » Son bébé de quatre mois dans les bras, Adjia fait sa tournée des boutiques pour trouver de quoi « réchauffer le désir » dans son foyer.

Le plaisir du mari avant tout

Avec son sac de supermarché où sont habilement camouflés lingerie et huiles érotiques, la jeune femme s’arrête devant un étalage d’encens, à la recherche de celui qui viendra parfumer la pièce conjugale. L’un des plus populaires du stand ? Un petit pot bariolé nommé « compte bancaire ». « Ça rassure les femmes, croit savoir le vendeur. Si elles rendent leur mari heureux, il les récompensera comme il faut par de beaux cadeaux et il n’ira pas trop voir ailleurs. »

Pour les Dakaroises, l’achat de ces attirails de séduction serait une nécessité. « Si je n’achète jamais rien de nouveau pour lui faire plaisir, mon mari partira avec ses copines », affirme ainsi Adjia. De fait, les femmes célibataires, ou, pire, divorcées, sont bien mal considérées dans la société. « Une femme divorcée, avec des enfants, aucun autre homme n’en voudra », soupire Aminata. « Les femmes ici ne travaillent souvent pas, ou pas assez pour tenir la maison, explique une vendeuse de perles de hanches. Sans mari, elles rencontrent beaucoup de problèmes ». De quoi marginaliser le célibat féminin: un rapport dressé en 2015 pointe ainsi qu’à compter de 30 ans, 4,5% des femmes restent célibataires, contre 13,5% des hommes.

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