RD Congo : la situation préoccupe vraiment les évêques catholiques

Une délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo, en « mission de plaidoyer » en Europe, a fait part de ses inquiétudes face à la tournure que prend le processus électoral.

Lucides, les prélats congolais sentent bien que les élections prévues cette année, dans le cadre de l’accord dit de la Saint-Sylvestre, sont de plus en plus incertaines. La CENCO s’est impliquée dans ce « dialogue » qui a abouti à la signature de cet accord le 31 décembre 2016. Elle a pris cette initiative après la conclusion, en octobre 2016, d’un premier accord, sous la « facilitation » de l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo, dépêché à Kinshasa par l’Union africaine. Le compromis bancal qui est sorti de ces discussions, sous l’œil d’Edem Kodjo, a cependant été rejeté par la frange la plus représentative de l’opposition, au motif que ce texte avait fait une fleur au président Joseph Kabila.

Une mise en œuvre « lente » et « mitigée » de l’accord

Conduite par Mgr Marcel Utembi, archevêque de Kisangani et président de la CENCO, cette délégation s’est étendue sur la lente mise en œuvre de l’accord de la Saint-Sylvestre. « La mise en œuvre de l’accord est mitigée. Nous aurions bien voulu que l’accord puisse être appliqué dans sa lettre et dans son esprit. Force est de constater que, malheureusement, l’accord est faiblement appliqué », regrette Mgr Marcel Utembi. « Des signaux montrent que les élections n’auront peut-être pas lieu. Je dois dire que la CENCO est inquiète. Elle est préoccupée par cette situation. Notre inquiétude augmente au fur et à mesure. Que se passera-t-il ensuite ? En tant qu’Église, nous sommes les veilleurs et les éveilleurs. Nous alertons tout le monde sur cette situation. Si rien de fâcheux n’arrive, tant mieux ; mais mieux vaut prévenir que guérir. La CENCO n’a pas une solution miracle, elle croit à la conjugaison des efforts de tous pour atteindre l’objectif fixé », explique le président de la CENCO. « Il faudrait une évaluation des mesures de décrispation prévues par cet accord. Combien de prisonniers politiques ont été libérés à ce jour ? Combien d’exilés sont effectivement rentrés au pays ? Combien de défenseurs des droits humains ont été libérés ? Les manifestations publiques sont-elles acceptées par le gouvernement congolais ? » s’interroge le père Clément Makiobo, le secrétaire exécutif de la Commission épiscopale justice et paix, qui déplore également la dégradation de la situation sécuritaire un peu partout dans le pays. L’Église est une institution très respectée en République démocratique du Congo, un pays à dominante catholique. Les prélats catholiques prennent régulièrement position sur la conduite des affaires publiques. Et leur message ne passe pas inaperçu.

Institutions « inclusives » ?

Les évêques se plaignent du manque « d’inclusivité » des institutions issues de l’accord de la Saint-Sylvestre qui a nécessité plusieurs semaines de discussions houleuses. En clair, des représentants du Rassemblement, la principale coalition de l’opposition, ne sont pas suffisamment représentés au sein de ces institutions, notamment le Conseil national de suivi de l’accord (CNSA). « Nous aurions souhaité que le rassemblement tel qu’il s’est présenté au début du dialogue puisse se retrouver au sein des institutions qui doivent gérer consensuellement la période préélectorale, notamment le gouvernement d’union nationale et le CNSA. La réalité est que ce n’est pas le rassemblement, dans sa configuration initiale, qui participe au gouvernement », note l’archevêque de Kisangani. Face à cette situation, serait-il nécessaire que la CENCO assure une autre médiation pour amener les uns et les autres à se mettre d’accord sur la manière de sauver ce qui peut encore l’être en vue de la tenue d’élections dans un climat apaisé ?

« Nous sommes logiques et cohérents. L’accord souffre de sa mise en œuvre intégrale. Nous ne pouvons pas piloter un troisième dialogue, alors que la mise en œuvre du deuxième dialogue ne s’est pas réalisée intégralement », précise Mgr Marcel Utembi. Sur cette question, Mgr Fidèle Nsielele, évêque de Kisantu et président de la Commission épiscopale justice et paix, se veut plus clair : « Pour la CENCO, un troisième dialogue ne servirait à rien. C’est possible de sortir de cette crise sans un autre dialogue. »

L’espoir n’est pas perdu

Pour autant, tout espoir de voir l’élection présidentielle se tenir cette année n’est pas perdu. Le président Joseph Kabila, qui a achevé son second et dernier mandat en décembre 2016, s’est exprimé sur cette question lors de l’Assemblée générale de l’ONU à New York la semaine dernière, dans une salle quasiment vide. Si le chef de l’État est resté évasif sur la date de la présidentielle à laquelle la Constitution ne l’autorise pas à se porter à nouveau candidat, le président de la CENCO, de son côté, souhaite que la CENI fasse des propositions pour décrisper la situation. « L’accord dit qu’on doit évaluer périodiquement le processus électoral piloté par la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Pour en arriver à un calendrier consensuel, il faut que cette structure fasse une proposition aux différentes parties prenantes. Le peuple congolais attend de la CENI qu’elle prenne ses responsabilités pour proposer un calendrier qui pourrait faire l’objet d’une discussion avec les différentes parties prenantes », précise Mgr Marcel Utembi. « Nous sommes en dialogue avec la CENI. Nous sommes là pour dire à la CENI qu’il faut changer un certain nombre de choses pour que son travail soit accepté par la population. De bonne foi, nous croyons qu’il est encore possible d’organiser les choses, au moins l’élection présidentielle. L’accord prévoit la possibilité d’aller au-delà de 2017, à condition qu’il y ait concertation entre les parties prenantes », ajoute le père Clément Makiobo. Le président de la CENI, Corneille Naanga, a vaguement indiqué qu’un calendrier électoral serait publié « prochainement », à l’issue d’une série de concertations entre la Commission électorale, le gouvernement et le CNSA. Les trois parties ne semblent pas pressées de finaliser les discussions amorcées en août à Kananga, dans le centre du pays, en l’absence du président du CNSA. Rien n’indique que des avancées ont été réalisées à cet effet.

Transition

Des voix s’élèvent au sein de l’opposition pour exiger la mise en place d’une période de transition après décembre 2017, si les électeurs ne se rendent pas aux urnes d’ici là. Le rassemblement a ainsi appelé à une mise à l’écart de Joseph Kabila avant le début de cette période qui permettrait aux institutions transitoires de préparer les élections. Qui prendrait entre-temps les commandes du pays ? Des noms sont avancés ici et là. Pour les uns, le docteur Denis Mukwege, qui a acquis sa notoriété dans le monde pour les soins qu’il administre dans un hôpital du Sud-Kivu (est) à de nombreuses femmes victimes de viols, ferait l’affaire. Pour les autres, un prélat catholique jouerait convenablement ce rôle, d’autant que Mgr Laurent Monsengwo, alors archevêque de Kisangani, avait bien conduit les travaux de la Conférence nationale au début des années 1990, à l’époque du président Mobutu, avant de devenir le président du Haut Conseil de la République érigé en Parlement de transition en 1994. La CENCO exclut toute possibilité de voir l’un de ses représentants prendre temporairement les manettes de la RDC. « Un ecclésiastique n’acceptera pas de conduire la transition. Nous devons faire la part des choses entre le pouvoir spirituel dont nous disposons et le pouvoir temporel. Comme prêtres ou évêques, nous nous sommes suffisamment engagés à assurer le bien-être du peuple sur les plans pastoral et spirituel. Nous pensons aussi que le laïcat en général ne doit pas être infantilisé. Les évêques ne peuvent pas tout faire à la place des laïcs qui peuvent pleinement assumer leurs responsabilités dans la gestion de la chose publique », souligne Mgr Marcel Utembi.

La CENI doit jouer son rôle

L’image de la CENI n’est pas reluisante en RDC. Elle est soupçonnée de faire le jeu de la majorité présidentielle qui semble recourir à des manœuvres dilatoires pour permettre à Joseph Kabila de se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir. La CENCO estime, quant à elle, qu’il appartient à cet organe de montrer son indépendance vis-à-vis des acteurs politiques. « Honnêtement, il faut saluer les efforts de la CENI qui a travaillé dans des conditions difficiles. La CENI a perdu du matériel et certains de ses membres dans la crise du Kasaï. Il convient de saluer les résultats atteints à ce jour. Nous ne pouvons que l’encourager à aller de l’avant et le plus rapidement possible de manière à organiser les élections le plus rapidement possible », relève Mgr Marcel Utembi. « S’agissant de l’enrôlement, on peut saluer, comme le fait la communauté internationale, le travail de la CENI qui a inscrit 42 millions de personnes sur les listes électorales. Mais encore faudra-t-il effectuer un contrôle de toutes ces données. Au lieu de saucissonner l’enrôlement, on aurait pu le faire dans un espace de temps limité dans plusieurs provinces en même temps », ajoute-t-il.

Quel avenir ?

Les analystes se perdent en conjectures sur l’incertitude qui plane sur les élections. La CENCO constate cependant que les mouvements citoyens qui se multiplient en RDC aident la population à prendre conscience des enjeux électoraux. « Tout n’est pas sombre. Nous nous réjouissons de voir, petit à petit, émerger une conscience nationale. Nous voyons les mouvements citoyens se prendre en charge, et même des femmes analphabètes se prononcer sur le processus électoral. Un petit pas a été fait. Aujourd’hui, l’homme de la rue est prêt à affronter le danger pour défendre l’accord, la Constitution, la nation… C’est quelque chose de nouveau. La société civile se renforce. Cela est positif. On ne doit pas seulement voir l’obscurité ; en tant que croyants, nous disons que tout n’est pas perdu, tout reste possible », précise le père Clément Makiobo. La CENCO organise des campagnes de formation à travers le pays en vue d’aider les Congolais à faire pression sur les acteurs politiques pour faire aboutir le processus électoral. « La Constitution prévoit des manifestations non violentes. Nous avons perçu que le peuple n’est pas suffisamment informé de la manière dont les manifestations pacifiques peuvent être organisées. Nous avons institué un programme de formation dans le cadre de l’éducation civique. Nous avons formé 200 animateurs que nous avons envoyés aux quatre coins de la RDC. C’est pour aider la société civile à revendiquer ses droits auprès des gouvernants », révèle Mgr Marcel Utembi.

Après Bruxelles, la délégation de la CENCO est attendue dans les prochains jours à Paris où elle aura des entretiens avec les autorités françaises. Le message qu’elle tient à faire passer dans les capitales européennes est partout le même : l’heure est grave en RDC, il faut agir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.

Originally posted 2017-09-29 17:32:41.