ABDOUL AZIZ WANE : Le nouveau visage du FMI en Afrique

"Le FMI a appris de ses erreurs. Aujourd'hui, il veut être un acteur actif du renforcement des capacités des États et des institutions économiques en Afrique"

LE SÉNÉGALAIS ABDOUL AZIZ WANE EST LE PREMIER AFRICAIN NOMMÉ À LA TÊTE DE DEUX INSTITUTIONS MAJEURES DU FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL (FMI) EN AFRIQUE : L’AFRITAC SUD ET L’AFRICAN TRAINING INSTITUTE (ATI). C’EST UN OBSERVATEUR AVISÉ DES CHANGEMENTS RAPIDES ET MAJEURS QUE CONNAISSENT LES ÉCONOMIES ET LA HAUTE ADMINISTRATION AFRICAINES.

C’est avec un Nanga def poli « comment vas-tu ? » en wolof, une des langues de son Sénégal natal), qu’Abdoul Aziz Wane nous reçoit dans son bureau situé à Ébène, le quartier d’affaires mauricien. De taille moyenne, un visage émacié et une démarche à la fois chaloupée et raide, le tout juste quinquagénaire  (« je les ai eus cette année ! »), s’excuse de ne pas proposer l’ataya : la cérémonie du thé à la menthe. Plus qu’une boisson, ce rituel est un des éléments clé de la Teranga, l’hospitalité si chère au cœur des Sénégalais.
Il est vrai qu’Abdoul Aziz Wane est un homme occupé, très occupé même. Il est à la tête de deux institutions majeures du FMI en Afrique : l’Afritac Sud et l’African Training Institute (ATI). L’Afritac Sud – un des cinq centres régionaux en Afrique du FMI – couvre les pays d’Afrique australe et les institutions économiques sous-régionales. L’ATI, créé en 2013, est un centre de formation de haut niveau qui accueille régulièrement des participants venus de banques centrales, de ministères des Finances et d’agences statistiques des 45 pays de l’Afrique subsaharienne. Il n’est pas rare de croiser de hauts cadres continentaux, arborant parfois leurs habits traditionnels, déambulant dans la cybercité mauricienne et donnant ainsi au quartier un air de mini-FMI africain …

« Savoir pour mieux servir »

Le parcours qui a mené à de telles fonctions ce Fula (autre nom des Peuls) originaire du village de Kanel (au nord du Sénégal), a été entamé bien avant lui. Il est issu d’une famille qui a produit les premiers cadres de son pays : son père est l’un des premiers ingénieurs agronomes sénégalais sortis de l’Institut national d’agronomie (INA) de Paris tandis que son oncle, « mon homonyme », a été le premier diplômé africain de la célèbre grande école française d’ingénieurs, l’École centrale Paris, et le premier chef de cabinet du premier chef de gouvernement du Sénégal, Mamadou Dia.
C’est pourtant à Saint-Louis (Ndar en wolof. Fondée en 1659, ses habitants sont devenus Français dès la Révolution !) que le jeune Abdoul Aziz va poursuivre ses études secondaires. Il intègre, à 11 ans, le Prytanée militaire de Saint-Louis considéré comme la meilleure école du Sénégal. Il reçoit chaque année, après un concours très sélectif, 70 élèves sénégalais choisis parmi plusieurs milliers de candidats. Il accueille aussi des candidats venus de la sous-région : « Beaucoup de mes promotionnaires sont devenus des officiers supérieurs dans leur pays respectif. » Si le jeune homme renonce au métier des armes pour entamer des études d’économie, il conserve de cette éducation une forte empreinte. « Savoir pour mieux servir » est la devise de l’école. « Elle m’a inculqué la discipline pour obéir et l’aptitude pour commander bien-sûr, mais aussi une capacité à travailler sous pression. » Il poursuit ses études à Toulouse où il obtient un troisième cycle en finance et économétrie. Mais c’est à l’université de Dakar qu’il soutient son doctorat. Il débute sa carrière comme assistant, puis maître-assistant, à l’Université de Saint-Louis, puis à celle de Dakar, la capitale.

Les « années blanches »

En 2001, il postule et intègre le FMI. Un choix professionnel assumé alors que sa génération est sans doute celle qui a le plus souffert des décisions prises dans les années 1980 par les institutions de Bretton Woods. Décisions incarnées par les fameux Programmes d’ajustement structurel (PAS). Ces disciplines budgétaires « décidées ailleurs » ont laissé un souvenir amer avec leurs coupes dans les budgets sociaux et éducatifs, amenant aux « années blanches » (faute de budget, les écoles sont fermées et les examens et concours gelés !) « Le FMI a appris de ses erreurs », reconnaît le directeur de l’Afritac Sud et de l’ATI. « Les secteurs sociaux sont vitaux pour renforcer le capital humain de nos économies. »
Il est rapidement posté en Afrique, au Mali, avant de rentrer au siège en 2008 pour venir en aide aux pays européens frappés par la grave crise financière de 2008. En 2011, il est envoyé en Guinée Conakry. Il participe au redressement de l’économie d’un pays qui vient de traverser une transition politique majeure. Le pays arrive à réduire son inflation, stabilise sa monnaie et atteint le point d’achèvement de l’Initiative PPTE (stade auquel un pays devient admissible à un allégement de dette complet et irrévocable). Abdoul Aziz sera ensuite chef de mission au Congo-Brazzaville pour juguler les effets de la baisse des cours du pétrole.
C’est en 2018 qu’il devient le directeur de l’Afritac Sud et de l’African Training Institute. En remplaçant la Grecque Effie Psali-da, il devient le premier Africain directeur de ces deux institutions importantes du FMI en Afrique.


Si les deux institutions sont distinctes dans les services qu’elles offrent, Abdoul Aziz Wane assure que leurs objectifs sont les mêmes : à savoir renforcer les « capacités » des États et des institutions de l’Afrique subsaharienne dans la gestion macroéconomique. « Grâce aux contributions financières de nos partenaires internationaux (dont l’Union européenne, la Chine, le Royaume-Uni, la Banque européenne d’investissement et l’Australie) et les pays membres, nous travaillons pour avoir un impact durable et concret pour améliorer les conditions de vie des populations. »
L’action de l’Afritac Sud est complétée par l’African Training Institute (ATI) qui a une vocation continentale. Ces cours, destinés aux cadres (de moyens à hauts) d’institutions économiques d’Afrique subsaharienne et/ou d’organisations ré-gionales, portent sur divers domaines : politiques budgétaire, monétaire et de change, viabilité de la dette, supervision du secteur financier ou encore gestion des recettes issues des ressources naturelles : « Ce dernier point revêt une importance capitale pour les pays africains. Il s’agir d’appuyer une croissance économique durable et réduire la pauvreté en Afrique subsaharienne. Car derrière ces statistiques et ces chiffres, il y a avant tout des populations », assure, confiant, Abdoul Aziz Wane. L’image du FMI a effectivement bien changé…

PAR JEAN-MICHEL DURAND