Y a-t-il vraiment un «génocide» des fermiers blancs en Afrique du Sud, comme le déclarent certains tweets ?

Afrique

Un fil Twitter très partagé affirme que les fermiers blancs d’Afrique du Sud sont tués massivement. Alors que le pays connaît un vif débat sur la propriété des terres agricoles, le sujet est réel. Mais il est décroissant, si l’on se fie aux statistiques disponibles.

Bonjour, votre question renvoie à un vieux sujet qui a connu une nouvelle exposition ces derniers jours en France, avec l’aide d’un fil Twitter. Retweeté près de 10 000 fois, celui-ci n’annonce rien de moins qu’un «génocide blanc qui frappe l’Afrique du Sud», en s’appuyant essentiellement sur une vidéo Youtube vue elle-même 150 000 fois. Tous deux nous expliquent que «tous les jours en Afrique du Sud», des fermiers blancs et leurs familles sont assassinés, torturés et violés, et que des lois d’expropriation jettent ces fermiers dans la misère. Interrogé sur ses sources, l’auteur du fil renverra également vers les sites d’extrême droite Riposte Laïque et Fdesouche.

Le fil Twitter et la vidéo n’étayent pas leur propos avec beaucoup de données chiffrées. Il en existe pourtant, qui permettent de mesurer la réalité du phénomène, mais aussi le fait qu’il est en régression depuis vingt ans. L’organisation AgriSA, qui représente des agriculteurs sud-africains, a dénombré 47 meurtres entre le 1er avril 2017 et le 31 mars, le plus bas total depuis vingt ans, bien loin des 153 (le record) enregistrés en 1997-1998. Les données d’AgriSA montrent une baisse quasi-constante de ces meurtres. Précisons que ces données n’indiquent pas la couleur de peau des victimes.

La même organisation a en revanche alerté récemment sur une hausse des attaques de fermes, au nombre de 561 en 2017-2018, soit une hausse significative par rapport aux 478 attaques de 2016-2017. Dans son dernier rapport, AgriSA lie cette hausse à une augmentation globale de la délinquance dans le pays, incluant les cambriolages violents ou les meurtres.

Toutefois, si on regarde sur une plus longue période, le nombre d’attaques, comme de meurtres, décline tendanciellement depuis vingt ans.

Un article de Quartz Africa estime ainsi que l’émoi international «contre le génocide des fermiers blancs», largement instrumentalisé par l’extrême droite, néglige les statistiques.

Les données D’AgriSA ont été contestées par d’autres organisations, comme AfriForum, fondée pour défendre les intérêts des Blancs en Afrique du Sud. Cette association a dénombré 72 meurtres de fermiers blancs entre janvier et octobre 2017.

La police, de son côté, n’a pas encore livré de données pour la période 2017-2018. Mais en 2016-2017, elle a dénombré 638 attaques et 74 meurtres.

Ces attaques, dont la réalité n’est donc pas à contester, s’inscrivent à la fois dans un contexte de délinquance globale dans le pays, mais aussi dans un contexte lié au débat sur la propriété des terres : «L’Afrique du Sud n’a rien résolu de l’héritage empoisonné qui hante ses campagnes où la dramatique continuité des inégalités de l’apartheid se résume en un chiffre : 73% des terres arables du pays sont toujours détenues par des Blancs, qui ne comptent que pour 8% des 56 millions d’habitants», écrit Slate. Sur Twitter, le journaliste Brice Miclet a lui aussi replacé la question des attaques de fermes dans le contexte global du pays, que l’on peut résumer ainsi : ce qui appartenait aux Blancs à la fin de l’apartheid leur appartient toujours massivement.

D’où des propositions politiques consistant à exproprier pour de bon ces fermiers, sans compensation. Le 1er août, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa (Congrès national africain), a ainsi annoncé sa volonté de modifier la Constitution pour accélérer la redistribution des terres, à destination de la majorité noire et pauvre.

Originally posted 2018-08-11 00:07:37.