Un succès d’éradication de mouches tsé-tsé dans une région du Sénégal

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Des chercheurs français et sénégalais ont pu éradiquer une population de mouches tsé-tsé, vecteur de la maladie du sommeil, dans la région du Sénégal la plus peuplée en hommes et en bovins.

Pour cela, ils ont lâché progressivement des mâles rendus stériles au moyen d’une technique d’irradiation. Une méthode qui, appliquée en pleine nature, nécessite une réflexion éthique.

Ce samedi 8 décembre, le président de la République du Sénégal, Macky Sall, va officiellement annoncer le succès de l’éradication de la mouche tsé-tsé dans la zone côtière des Niayes, petite région en surface (1 000 km2) mais dense en population humaine et en bovins.

Un travail entamé en 2007, coordonné par Jérémy Bouyer, vétérinaire entomologiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), actuellement à l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) à Vienne (1).

Un frein au développement de l’élevage

La mouche tsé-tsé, ou glossine, transmet par piqûre des trypanosomes à l’origine de maladies parasitaires aussi bien chez l’homme qui développe alors la « maladie du sommeil », possiblement mortelle en l’absence de traitement, que chez les bovins.

Chez ces derniers, l’infection provoque une baisse de la fertilité, une perte de poids et parfois la mort. Mais les glossines limitent considérablement l’amélioration de l’élevage dans toute l’Afrique subsaharienne, comme au Sénégal où 80 % du lait consommé est importé.

La technique de l’insecte stérile

Au préalable, les chercheurs se sont assurés que la population de mouches tsé-tsé était bien isolée, qu’elle ne recevait pas la visite de mouches venant d’une autre population sauvage. Les chercheurs ont également fait des études socio-économiques et des enquêtes sur les troupeaux.

Dès 2012, la mise en place de pièges insecticides et de traitements des bovins a permis de réduire la population de glossines. Puis les lâchers de mâles stérilisés par une technique d’irradiation (rayons ionisants qui neutralisent les organes génitaux, mais qui en aucun cas ne rendent les mouches radioactives) ont anéanti les dernières mouches sauvages. Les pupes (stade nymphal) irradiées proviennent de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso).

Cette technique de l’insecte stérile a fait ses preuves dans la lutte contre de nombreux insectes ravageurs ou vecteurs comme les mouches des fruits, ainsi que contre la lucilie bouchère qui s’attaquait aux animaux d’élevage, en 1980, aux États-Unis et en Libye, et dans les années 1990 en Amérique centrale. « Au départ du projet, on capturait près de 100 glossines par jour et par pièges dans certains sites, se souvient Jérémy Bouyer, peu avant juillet, on en retrouvait une ou deux par mois. Aujourd’hui, c’est zéro ! »

Une plus grande production des bovins et une extension dans une plus grande région

L’éradication des mouches tsé-tsé permet aux éleveurs de s’affranchir des vaches résistantes à la maladie, peu productives, pour élever des races plus performantes en lait et en viande. Ce contexte favorable à l’élevage devrait induire une hausse de la production annuelle équivalente à 2,8 millions d’euros par an, selon les estimations de l’étude d’impact menée en parallèle du projet. Une autre retombée déjà visible est la réduction des surfaces cultivées par les éleveurs : un enjeu important dans un contexte de pression foncière.

Fortes du succès de ce programme d’éradication, les autorités sénégalaises envisagent une extension sur une zone de 5 000 km2 du Sine Saloum, un delta situé au sud de la Petite-Côte, formé par la confluence du Sine et du Saloum.

Dans cette région, le problème posé par les glossines est plus important encore, car les mouches transmettent deux espèces de trypanosomes, dont l’une est bien plus virulente.

Ces résultats s’inscrivent dans une vaste campagne d’éradication panafricaine d’éradication des glossines (Pattec) lancée en 2001 à l’échelle du continent, notamment au Burkina Faso, en Guinée et au Sénégal. « Le Cirad a joué un rôle dans la production de connaissances, dans la formation et le renforcement de capacité, mais aussi en suscitant un partenariat multiacteurs incluant les décideurs politiques », explique Sylvie Lewicki, directrice régionale du Cirad Afrique de l’Ouest – zone sèche.

Questions éthiques et impacts sur la biodiversité

Tout au long du programme d’éradication, Jérémy Bouyer et ses collègues ont été très attentifs à l’impact de leurs actions sur la biodiversité. « Nous avons effectué un suivi environnemental très poussé grâce notamment à des bio-indicateurs pertinents, explique le chercheur. Nous avons observé une légère perte de biodiversité pendant la période des traitements insecticides, puis un retour à la normale ».

Enfin, « si l’éradication mondiale des glossines n’est pas justifiée d’un point de vue éthique, les campagnes d’élimination localisées ciblant des populations isolées sont éthiquement défendables ».

Denis Sergent
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