Sénégal – TER : un train pas comme les autres

Sénégal

Considéré comme une vitrine du Plan Sénégal émergent, le Train Express Régional (TER) vient de voir le premier tronçon de ses voies inauguré par le président Macky Sall. A près d’un mois de la présidentielle, l’événement n’est pas anodin.

C’était il y a deux ans, jour pour jour. Le 14 janvier 2017 résonnait le premier coup de pioche des travaux de la ligne du train express régional (TER) sénégalais. Le président Macky Sall avait promis, très sûr de lui, que le 14 janvier 2019, ils seraient de nouveau rassemblés pour son inauguration, quitte à faire rire, jaune, les réalisateurs du projet.

Lundi 14 janvier 2019 pourtant, un wagon a roulé sur 36 kilomètres entre Diamniadio et Dakar, avec, à son bord, une délégation de ministres, de représentants des entreprises impliquées dans les travaux et de partenaires financiers. À la barre, un président toujours aussi sûr et « fier » de ce premier projet ferroviaire du Sénégal indépendant.

Seule la première phase du projet a été réceptionnée, entre Diamniadio, la ville nouvelle située à 30 kilomètres du centre de Dakar, et la gare rafraîchie de la capitale sénégalaise. Dans un deuxième temps, le TER devrait rallier l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD). Au total, il devrait parcourir quelque 55 kilomètres.

Besoin urgent de désengorger la ville

Le tracé relie le centre de la capitale à sa banlieue grâce à quatorze gares réparties dans les centres urbains les plus denses. Le but est clair : en finir avec les redoutables embouteillages qui polluent la vie des habitants, lesquels représentent 30 % de la population sénégalaise sur 0,28 % de la surface du territoire du pays. Il faut dire que chaque jour, les mouvements pendulaires, de la banlieue au centre le matin, et inversement le soir, accompagnent les interminables heures d’attente dans les embouteillages. Bus, cars rapides, cars Tata, taxis, véhicules personnels et charrettes se partagent les quelques axes principaux de la région de Dakar qui enregistrent leur lot important d’accidents. Désengorgement, sécurité, confort…, voilà les éléments avancés qui ne manqueront pas de faire du TER, quand il sera définitivement mis en service, une vraie aubaine pour les 115 000 passagers qui vont l’emprunter tous les jours mais aussi immanquablement pour le président Macky Sall dont le TER est une illustration emblématique de son Plan Sénégal émergent(PSE).

Une démonstration de technologie… à la française

Fonctionnement à l’énergie électrique comme à l’énergie thermique, vitesse de pointe de 160 km/h, capacité des wagons de 565 passagers, et même climatisation et Wifi à bord. Sans parler des liseuses en première classe. La liste des éléments d’un confort jusque-là inconnu dans les moyens de transports sénégalais s’allonge et apparaît comme une illustration du saut technique et technologique que le TER va apporter aux transports du Sénégal. Pour réaliser cette ligne 2.0, les entreprises retenues par l’Agence nationale chargée de la promotion de l’investissement et des grands travaux (APIX), rattachée à la présidence de la République ont été majoritairement françaises. L’ouvrage a été réalisé par le consortium franco-turco-sénégalais Eiffage/Yapi Merkezi/CSE (Compagnie sahélienne d’entreprises). Pour le reste, Engie et Thales se sont chargés de la conception et de la réalisation des infrastructures et systèmes, Alstom fournit les wagons, TSO la voirie. Quant à son exploitation, la SNCF, la compagnie nationale française des chemins de fer, et la RATP, la Régie autonome des Transports parisiens, ont signé pour au moins cinq ans.

Des coûts exorbitants

Le président l’a rappelé lors de l’inauguration, le coût total de la première partie de la construction de ce TER représente 656 milliards de francs FCA, soit environ un milliard d’euros. Le tout est financé par des bailleurs internationaux à des niveaux variables dont les chiffres officiels sont les suivants : Banque africaine de développement (120 milliards FCFA), Banque islamique de développement (197 milliards FCFA), Agence française de développement et Trésor français (196,5 milliards FCFA), et enfin État du Sénégal (142,5 milliards FCFA).

Toutefois, malgré « l’émergence » promise par le chef de l’État, l’opposition politique et les nombreux détracteurs questionnent sur l’opportunité d’une infrastructure si coûteuse dans l’un des 25 pays les plus pauvres du monde, selon les chiffres de la Banque mondiale. D’autant que certains proches du dossier parlent de larges surcoûts entraînés par la précipitation des travaux pour respecter la date butoir du 14 janvier.

Calendrier politique ?

Lundi, le passage à 30 km/h du TER dans le paysage de la presqu’île du Cap Vert, sans mur de sécurité autour des voies et sans passerelle pour permettre aux habitants de les traverser avec le maximum de sécurité, rappelle quelque peu un autre spectacle, sept ans plus tôt. Le 23 février 2012, quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, le président Abdoulaye Wade avait tenu à « inaugurer » l’aéroport Blaise-Diagne, l’un de ses plus grands projets. Il avait atterri sur un tarmac à peine terminé, encore entouré de talus de terre. Les bâtiments de l’aéroport n’étaient alors qu’à l’état de squelette. Les accusations de calcul politique n’avaient pas manqué. Finalement, l’AIBD sera opérationnelle seulement six ans plus tard. Qu’en est-il du TER ? « Il sera mis en service dans quelques mois », a promis le président. Une réponse qui apparaît à nombre d’observateurs comme imprécise et floue. Pour eux, cela en dit long sur son importance dans un calendrier politique dont tout le monde comprend qu’il doit connaître son moment crucial à la prochaine présidentielle, en février.