SENEGAL : est-ce le scrutin du recul ?

Sénégal

Que nous réserve la classe politique sénégalaise, à l’issue du vote d’hier ? Une telle question, il y a longtemps que ne se la pose pas au Sénégal, au lendemain d’une journée électorale. Mais cette fois, elle est opportune et pertinente. Parce qu’en lieu et place du traditionnel coup de fil du perdant pour féliciter le vainqueur, c’est plutôt le schéma d’un contentieux électoral qui se dessine. Parce qu’en lieu et place d’un résultat consensuel et accepté de toutes les parties, c’est de tendances contradictoires qu’il faudra se contenter pour l’instant. Bref, sans attendre de savoir ce qui peut en résulter, on a déjà tous les signes d’un recul. Un recul par rapport à une image qui a longtemps fait de nos voisins sénégalais une référence sous-régionale et au-delà, de l’ex-empire colonial d’obédience française. Mais que s’est-il passé pour qu’on en arrive à un tel niveau de perversion ?

Il faut dire que la raison n’est nullement à chercher du côté du peuple sénégalais, en tant que tel. Conscients de l’importance du vote et de l’arme qu’est la carte d’électeur, les Sénégalais, ne cédant à aucun excès de zèle, ni à aucune manœuvre d’intimidation, sont massivement allés voter hier. Et en le faisant, ils y ont mis toute la discipline requise. Ainsi, durant la journée de ce dimanche 24 février, aucun incident d’envergure n’aura été répertorié. Même ceux qui n’avaient retrouvé leurs noms sur les listes d’émargement de leurs bureaux de vote sont restés raisonnables. Comme c’est souvent le cas, en pareille circonstance, le peuple, lui, s’est honorablement acquitté du devoir qui est attendu de lui. Comme cela s’est passé en 2000, puis en 2012, s’attendaient donc à connaître celui dirigerait le pays pour les cinq prochaines années.

Malheureusement, ce n’est pas ce qu’on leur sert ce matin. Ils ont plutôt droit à une incertitude totale. La probabilité qu’à leur tour, ils goûtent au contentieux électoral, n’étant nécessairement nulle. Mais cette sombre perspective est certainement le fait de la classe politique qui semble avoir perdu de son flegme et de sa sérénité habituelle. Cette année, la fébrilité est particulièrement au rendez-vous. Y compris dans le camp du président sortant dans le camp duquel, la perspective d’un second tour passe pour une défaite. Rien de moins. Ainsi, tout est mis en œuvre pour que Macky l’emporte au premier tour. Sauf que dans cette obsession, il y a des impairs préjudiciables à la confiance que les acteurs doivent vouer au processus. Il est ainsi de l’annonce par le premier ministre, Mahammed Boun Abdallah Dionne l’a emporté avec un score qui dépasserait le score de 57%. Annonce qu’il a faite alors que les instances habilitées à le faire n’avaient pas rendu publics les résultats à leur disposition. Un tel acte dont on imagine qu’il a été posé à dessein ne rassure guère. Et aucune pirouette juridique ne saurait rattraper la bourde. Une attitude malencontreuse qui ne peut que conforter ceux des adversaires de Macky Sall qui dénonçaient déjà une « manipulation » des résultats.

Justement, parmi ces adversaires, on en a également qui ont manqué à la fois de discernement et de sagesse. C’est le cas d’Idriss Seck et d’Ousmane Sonko qui, alors même que la compilation n’était pas terminée, s’étaient empressés d’annoncer un second tour. Un second tour « inévitable », précisaient-ils de manière péremptoire au cours de la conférence de presse qu’ils avaient co-animée. De ce côté également, il s’agit-là d’un comportement qui ne peut favoriser la quiétude et la détente dans un contexte qui en pourtant bien besoin. Bien entendu, on comprend que des candidats ayant décelé des velléités de fraude et de tricherie sur les résultats de l’élection, soient enclins à les dénoncer et à mettre en garde qui de droit. Cependant, rien ne saurait justifier que la paix et la tranquillité que beaucoup  envient au Sénégal soient ainsi sacrifiées sur l’autel des intérêts égoïstes de politiciens.

Boubacar Sanso BARRY