Après un ultime album et un concert à l’Institut du monde arabe, le musicien malien Salif Keita annonce la fin de sa carrière. Exemplaire.
« Je vais avoir soixante-dix ans cet été et je suis fatigué. J’ai envie de me reposer, j’ai besoin de nature, je vais prendre ma retraite chez moi, au Mali… » Salif Keita clôt par ces mots un demi-siècle au service de la musique africaine, mandingue plus précisément. Un rythme né en Afrique de l’Ouest à la fin des années 1960, joué sur des instruments traditionnels conjugués à une certaine modernité, celle d’une guitare électrique par exemple.
Les rythmes sont hypnotiques, parfois inspirés d’Amérique du Sud, calypso ou salsa, les chansons longues car, à la façon des orateurs d’antan, il faut raconter une histoire. Son premier groupe s’appelle le Rail Band de Bamako, la ville où il s’est réfugié après avoir annoncé à sa famille qu’il voulait devenir musicien. « Je n’avais pas beaucoup d’options pour mon avenir, musicien ou bandit étaient même les deux seules. J’ai opté pour la première. J’avais grandi dans une famille noble, la musique était réservée aux griots. D’un coup je devenais un moins-que-rien. Conjugué avec le fait que j’étais albinos, lors des premiers concerts du Rail Band je me cachais le visage dans un foulard, pour faire illusion quelques minutes… Etre albinos semblait diabolique, c’était vraiment difficile à vivre, mais cela m’a donné la force de monter sur scène. »
CONCERT HOMMAGE À NELSON MANDELA
Il est vrai que sa voix est magique, claire, presque fragile mais extrêmement puissante. Elle sera son principal atout, son seul passeport pour une vie remplie et pleine de surprises, même si le succès n’intervient réellement en France que dans les années 1980. La sono mondiale qu’impose Radio Nova, mais également cette collaboration avec presque tous les autres grands artistes africains intitulée « Tam-Tam pour l’Ethiopie » seront ses sésames. « Nous avons tous répondu présent à Manu Dibango lorsqu’il nous a demandé de chanter pour récolter des fonds contre la famine en Ethiopie, c’est important de défendre des idées quand tu chantes. ‘Mandjou’, l’un de mes morceaux, part du même principe. C’est une chanson qui rendait hommage au président guinéen Sékou Touré, l’un des premiers à avoir rejeté l’intervention de la France dans les affaires de son pays, nous ne pouvions rester éternellement des colonies. Le Mali est un pays enclavé, nous sommes très solidaires de nos voisins, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Sénégal… »
Tenté par la politique il y a une dizaine d’années, candidat du Parti citoyen pour le renouveau, Salif Keita ne fut pas élu, l’un des rares échecs de sa vie. Sa plus grande réussite, en revanche, fut ce concert hommage à Nelson Mandela organisé à Wembley, le 11 juin 1988, qu’il eut l’honneur d’ouvrir et qui a accéléré la libération du leader sud-africain moins de deux ans plus tard. « Avoir participé à cet événement reste ma plus grande fierté. »