Nils Tavernier : « J’admire l’état d’esprit des Sénégalais »

Sénégal

Le réalisateur Nils Tavernier, dont le dernier film l’« Incroyable Histoire du Facteur Cheval » est sorti en salles mi-janvier, est tombé amoureux du Sénégal durant l’enfance. Agé aujourd’hui de 53 ans, il continue à s’engager pour ce pays.

GEO Vous dites que le Sénégal a changé votre vie. Pourquoi ?

Nils Tavernier J’y suis allé pour la première fois à 12 ans, quand mon père [le cinéaste Bertrand Tavernier] tournait le film Coup de torchon. Là-bas, j’ai fait la rencontre simultanée d’une population et… de la caméra. J’ai alors voulu arrêter l’école et produire de l’image, ce que j’ai d’ailleurs fait peu de temps après. Depuis, je n’ai jamais cessé de me rendre au Sénégal. Il y a vingt ans, j’ai réalisé dans ce pays les Enfants de Thiès, un documentaire sur l’action de la Française Nelly Robin. Cette géographe a fondé l’association le Sourire d’un enfant, qui s’occupe des gamins des rues et travaille en prison. Je suis resté très proche d’elle et je continue d’accompagner son travail. Avec son association, je suis investi en milieu pénitentiaire et je me bats également pour le respect du droit à l’avortement quand la vie de la mère est en danger. C’est aussi au Sénégal que j’ai rencontré ma femme, Ondine, qui y est née. Avec une ONG, Asao, sur l’île de Gorée, elle fait travailler 150 brodeuses.

Votre rapport à ce pays est donc indissociable de votre engagement ?

Oui. Je travaille depuis vingt ans à Thiès, la deuxième ville du pays. Avec Nelly Robin, nous avons introduit la pratique de l’escrime pour les mineurs criminels incarcérés et leur taux de récidive est tombé à 4 % seulement, ce qui est unique au monde. J’ai réalisé un film sur cette expérience, la Liberté en prime (2015). Avec l’association, nous avons construit l’an dernier un secteur dans la prison pour protéger les mères emprisonnées avec leur bébé. Je crois en l’éducation des femmes. Il est nécessaire qu’elles acquièrent une indépendance financière pour pouvoir dire non à leur mari. Mais le Sénégal va dans le bon sens. Cette année, pour la première fois, le taux de réussite au bac a été le même chez les filles et les garçons. C’est une victoire formidable.

Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans ce pays ?

J’aime sa terre rouge, la même que dans le sud du Mali. La manière dont les gens se comportent vis-à-vis de leurs difficultés, en prenant les choses du bon côté. Un je-m’en-foutisme absolument délicieux, comme l’acceptation du non-résultat. Une gentillesse innée. Je suis profondément attaché à cette population. Très touché notamment par la pensée animiste, plus forte encore que la religion : pour les Sénégalais, un arbre a une âme et je trouve cela très beau. J’admire aussi leur rapport à la vieillesse. En Occident, des millions de personnes dépendantes sont placées dans des « parcs à vieux » à cause de notre individualisme exacerbé. Le « vieux » au Sénégal est respecté et, surtout, il reste à la maison. Enfin, je trouve éblouissant le principe solidaire de l’impôt familial : celui qui gagne de l’argent doit aider les siens. Un Sénégalais qui vient en France fait vivre sept personnes restées sur place. Il reste de cinq à sept ans jusqu’à ce qu’il ait stabilisé sa famille avec ce qu’il a gagné, puis il rentre au pays. Contrairement à ce que disent certains qui pointent toujours le flux migratoire subsaharien en direction de l’Europe, la majorité retournent chez eux.

Là-bas, vous prenez parfois aussi des vacances ?

Oui. A Gorée, je suis capable de ne rien faire. Je contemple ma femme, heureuse et entourée d’enfants, et ma fille de 10 ans qui se balade et commence à parler un peu wolof. Je peux me poser des journées entières au café à regarder passer les bateaux. Cette île, avec son charme et sa lumière indescriptible, est l’une des plus belles que j’aie jamais vues.

Un entretien paru dans le magazine GEO de février 2019 (n°480, L’Iran).

Audrey Nait-Challal