Mode : l’Afrique au diapason du monde

Afrique

Pour la jeune génération créative africaine ou issue de la diaspora, le continent ne représente plus uniquement la terre des origines, mais celle des opportunités. Illustration.

Les influences africaines se ressentent dans les collections des maisons de luxe, de Gucci à Burburry, jusqu’aux géants de la fast fashion comme H&M et Zara. « L’Afrique a une place artistique importante dans l’industrie de la mode, on voit de plus en plus de styles inspirés de la culture africaine dans les défilés », témoigne Paige Kalongi, organisatrice de la Kinshasa Fashion Week. À l’instar de la marque streetwear Supreme et son « Obama Anorak », clin d’œil aux pagnes à l’effigie des présidents africains. Cependant le risque d’être taxé de faire de l’appropriation culturelle n’est jamais loin, telle Stella McCartney et ses silhouettes printemps-été 2018 en wax. « Aujourd’hui, nous avons une image de la mode africaine très colorée avec beaucoup d’imprimés, alors qu’il existe une réelle richesse dans le patrimoine africain », précise le styliste Imane Ayissi qui effectue régulièrement des allers-retours entre la France et l’Afrique. Cette appétence mondiale pour la mode africaine a entraîné une multiplication de labels issus du continent et de la diaspora, comme le français Maison Château Rouge ou le hollandais Daily Paper, qui développent une vision afropolitaine de la mode.

 ©  Emily Pinna
Final du défilé des Talents des Créateurs 2018 à Yaoundé, le directeur artistique de la manifestation Imane Ayissi a fait le show avec les mannequins. © Emily Pinna

Ce foisonnement créatif africain surfe sur la globalisation grâce aux réseaux sociaux et devient visible à l’échelle internationale, comme Amake Osakwe de Maki Oh ou Duro Olowu qui signent des collections portées par des célébrités, de Beyonce à Michelle Obama. Malgré des autorités gouvernementales et des investisseurs en retrait, l’industrie de la mode africaine se structure avec de nombreuses fashion weeks, de Dakar à Johannesburg en passant par Lagos. Pour les initiateurs de ces événements, le chemin est semé d’embûches, entre la recherche de partenaires fiables et la mobilisation de moyens logistiques et financiers. Cela n’a pas empêché Yves Eya’a de revenir à Yaoundé, après avoir vécu une quinzaine d’années en France, pour lancer en 2009 le Forum des métiers de la mode et du design et l’année suivante le Centre des créateurs de mode du Cameroun : « J’avais pris conscience du retard au Cameroun dans ce secteur. Nous sommes une structure accompagnatrice qui professionnalise la démarche des jeunes stylistes en abordant tous les aspects de la gestion d’entreprise. La plupart rêvent de vendre en Europe alors qu’il y a d’abord un marché local à satisfaire. »

Le pari d’une génération entreprenante face aux réalités africaines

Sur le continent, l’effervescence autour de la mode depuis une décennie offre des opportunités à ceux et celles qui savent s’en saisir. Par exemple la styliste Doreen Mashika, après avoir travaillé en Suisse dans l’industrie du luxe,vit aujourd’hui à Zanzibar. Quant à Sarah Diouf, fondatrice du magazine Ghubar et Noir, elle est partie à Dakar lancer le label Tongoro et son agence créative IfrenStudios. Autre success story, celle de Maureen Ayité, fondatrice de Nanawax, label présent à Abidjan, Brazzaville, Cotonou, Dakar et Lomé. Née au Bénin et arrivée en France pour ses études supérieures en langues, elle ouvre un groupe Facebook sur le tissu africain en 2008. Face au succès, elle rentre à Cotonou en 2012 pour développer sa marque car en Europe les coûts sont trop élevés tandis qu’en Asie les quantités demandées sont bien trop importantes. « Je ne sais ni dessiner ni coudre mais je me suis toujours vue en tant qu’entrepreneur. Aujourd’hui ça marche tellement bien que les artisans n’arrivent pas à suivre la production. »

 ©  African Fashion International
Au milieu Sarah Diouf lors de la dernière Cape Town Fashion Week. © African Fashion International

Autre passionnée de mode, la jeune Aminata Ndiaye, créatrice de Ikhaya Mossy, a décidé en 2017 de tout plaquer en France malgré son diplôme d’une grande école de commerce : « J’ai vite compris que mon bonheur ne résidait pas dans mon salaire de consultante mais plutôt dans mes accomplissements au quotidien », analyse-t-elle en poursuivant : « J’ai quitté mon emploi et j’ai entamé les démarches pour une nouvelle vie en Afrique du Sud, en embarquant ma sœur. J’ai investi toutes mes économies dans une association de personnes en situation de handicap fabriquant des bijoux qui allait fermer pour en faire une entreprise sociale. » Grâce à Internet, leurs créations traditionnelles en perle sont commercialisées dans le monde entier depuis Cape Town.

Exactement comme la marque africaine de sneakers Sawa, cofondée en 2009 par Mehdi Slimani, vendue des États-Unis jusqu’en Corée. Diplômé d’une école de commerce, Mehdi Slimani souhaitait, après une décennie dans la finance et le marketing, lancer un projet africain : « Je suis un Kabyle d’Algérie. Tout le monde dit que l’Afrique est le futur, mais pour nous c’est le présent ! La matière première est achetée puis transformée sur le continent pour faire en sorte que toute la valeur ajoutée reste en Afrique. » L’aventure a débuté au Cameroun, Sawa étant le nom d’une ethnie du littoral. La corruption endémique pousse néanmoins Mehdi Slimani à se relocaliser avec succès en Éthiopie : « On remarque que les Éthiopiens se mobilisent plus pour acheter des produits Made in Africa que les francophones. »

Le rôle décisif d’internet pour le développement de la mode africaine

Selon une étude de Mckinsey, les Africains pourraient dépenser plus de 60 milliards d’euros en ligne en 2025 et l’accès à Internet via un abonnement au téléphone portable devrait atteindre 41 % de la population africaine en 2020. Du coup, des plateformes de e-commerce se sont lancées dans le Lifestyle et le luxe 100 % africains comme à New York avec Oxosi de Akin Adebowale et Kolade Adeyemo ou Onchek de Chekwas Okafor. Ce dernier note d’ailleurs que « les Africains-Américains sont enthousiastes à l’idée de soutenir les marques africaines et il y a aussi les consommateurs intéressés par la mode éthique et durable ». Côté parisien ont émergé HâpyFâce de Suzanne Magne-Atangana, Lago54 d’Emmanuelle Courreges ou Moonlook de Nelly Wandji, qui a également lancé l’année dernière son concept-store dans la capitale : « Après mon expérience dans l’horlogerie et la joaillerie, je souhaitais valoriser l’Afrique sans distorsions ni raccourcis avec cette adresse à deux pas du palais de l’Élysée. » Signe annonciateur du changement sur le continent, les marques occidentales ne se contentent plus de chaînes de production comme H&M en Éthiopie et au Kenya mais commencent à ouvrir des franchises comme Zara, Mango ou Asos. Sur les pas de Lagos, avec son prestigieux concept store Alara et son multimarque de luxe Temple Muse, le plus grand d’Afrique, des boutiques tendance voient le jour dans les capitales.

Basée à Dakar, Adama Ndiaye, fondatrice de sa marque éponyme en 2001 et de la Dakar Fashion Week en 2002, est l’illustration de cette génération décomplexée : « Il était hors de question pour mes parents que je fasse une école de mode ! J’ai donc fait des études de sciences économiques. Contrairement à beaucoup de stylistes, j’ai d’abord créé ma société et pour continuer à produire, j’ai dû dans un premier temps aller au Maroc et en Chine avant de revenir au Sénégal. » Gageons que tous ces créatifs partis tenter leur chance en Afrique puissent un jour à l’instar d’Adama Paris affirmer : « J’ai une chance inouïe de vivre mon rêve. »

Originally posted 2018-07-29 02:30:33.