Les figuiers du Sénégal : un trésor agroforestier méconnu

Sénégal

Les figuiers est l’un des groupes de végétaux les plus importants de la flore tropicale par le nombre d’espèces. Au Sénégal, les figuiers constituent le 5e groupe le plus important de sa flore et compte le plus d’espèces ligneuses.

La position géographique particulière du Sénégal lui confère une diversité biologique végétale relativement importante par rapport à son statut de pays sahélien.

Dans la flore du Sénégal, les plantes supérieures relativement bien connues comparé à celles dites inférieures. Chez les ligneuses (plantes supérieures), le groupe appelé famille des Moraceae, compte 40 espèces appartenant à 8 sous-groupes ou genres parmi lesquels le genre Ficus L. qui regroupe l’ensemble des figuiers du Sénégal.

Les figuiers, de distribution pantropicale, est l’un des groupes de végétaux les plus importants de la flore tropicale par le nombre d’espèces. Il renferme plus de 750 espèces dont les 105 sont rencontrées en Afrique tropicale (Berg et Wiebes 1992). Parmi celles-ci, 70 sont recensées en Afrique de l’Ouest (Diop, 2013).

FIGUIERS DU SÉNÉGAL

Au Sénégal, les figuiers constituent le 5e groupe le plus important de sa flore et compte le plus d’espèces ligneuses.

Les figuiers sont connus pour leurs intérêts économiques :

  • Producteurs d’un latex de bonne qualité artisanale et industrielle
  • L’écorce sert à confectionner des étoffes indigènes
  • Producteurs de fruits charnus comestibles
  • Producteurs de plants pour la décoration des appartements et des avenues
Ficus ingens
Ficus ingens

En plus de ces usages, dont certains sont tombés en désuétude, les figuiers jouent un rôle majeur pour le maintien et le développement de la biodiversité dans les régions tropicales. En effet, la plupart des végétaux dépendent des animaux frugivores pour la dispersion de leurs graines. Or les figuiers sont reconnus pour être des espèces clés pour ces animaux : l’abondance des figuiers source de nourriture attire les espèces frugivores et par conséquent augmente l’efficacité de la dispersion des graines de beaucoup d’espèces d’arbres. C’est la raison pour laquelle les grands projets de reforestation en Asie utilisaient des figuiers pour attirer les disperseurs de graines favorisant ainsi, une implantation rapide d’une forte diversité d’arbres (Wydhayagarn et al. 2009).

Ficus platyphylla - Pied dans le jardin de l’hôpital principal de Dakar
Ficus platyphylla – Pied dans le jardin de l’hôpital principal de Dakar

De plus, la plupart des Ficus restent vert toute l’année et constituent donc une réserve de fourrage vert sur pied pour les éleveurs de la zone de Ferlo qui transhument avec leurs troupeaux chaque année vers les régions sud à la recherche de nouveaux pâturages.

De nombreux figuiers sont utilisés dans la pharmacopée traditionnelle où ils ont des rôles rituels et religieux majeurs. Le Sycomore est souvent cité dans la tradition judéo-chrétienne et fait partie des plantes prophétiques citées dans le coran. L’espèce Ficus religiosa servait d’arbre à méditation pour le Bouddha [voir la revue dans Condit 1947]).

Malgré leurs aspects utilitaires, les figuiers restent une énigme difficilement cernable pour la plupart des spécialistes de floristique (Lebrun, 1934, Berg et Wiebes 1992). L’identification correcte de toutes les espèces de figuiers est encore difficile malgré les nombreux travaux consentis pour ce groupe de végétaux. La principale cause est la variabilité très prononcée de certains caractères morphologiques liés à l’environnement. Le nombre élevé d’espèces synonymes est un signe manifeste des difficultés rencontrées dans la taxonomie de ce groupe.

Corde fabriquée avec écorce de iteophylla
Corde fabriquée avec écorce de iteophylla

PRINCIPAUX USAGES

Au point de vue utilitaire et économique, parmi la trentaine de figuiers présents au Sénégal, 18 sont exploités par les populations. Les principaux domaines d’utilisation sont.

1. Le domaine de la médecine traditionnelle où 15 des figuiers sont utilisées. Il s’agit de F. dicranostyla, F. exasperata, F. glumosa, F. ingens, F. iteophylla, F. lutea, F. natalensis, F. ovata, F. platyphylla, F. scott-eliotii, F. sur, F. sycomorus, F. thonningii, F. umbellata et F. vallis-choudae. Cinq de ces figuiers (F. glumosa, F. ingens, F. lutea, F. sur et F. sycomorus) sont utilisées pour soigner la stérilité. En Afrique, les feuilles, l’écorce et les racines des figuiers sont généralement associées à des organes d’autres plantes pour soigner ou soulager ou prévenir des souffrances et des maladies (Okafor & Ham, 1999).

2. Le domaine de la recherche médicale moderne ou 6 figuiers font l’objet d’études avancées à la recherche de médicaments bioactives pour soulager différentes pathologies telles que : le diabéte, l’hypertension, la drépanocytose, F. exasperata, F. iteophylla, F. platyphylla, F. sur, F. sycomorus, F. umbellata.

3. Le domaine alimentaire avec 10 figuiers comestibles. Les figues charnues de F. dicranostyla, F. glumosa, F ingens, F. iteophylla, F. platyphylla, F. sur, F. sycomorus, F. vallis-choudae sont consommés crus par les enfants ou utilisés comme condiments dans les plats repas quotidiens (couscous chez les Sérères au Sénégal), celles de F. polita sont seulement bien mâchées ; l’infusion des feuilles de F. umbellata sert de boissons ; Les feuilles de F. glumosa sont consommées dans des soupes. Les feuilles et les fruits sont aussi appréciées par les animaux sauvages (singes, oiseaux, chauves-souris …) ou domestiques (ânes, chèvres, moutons et vaches) (Guy, 2001 ; Garine, 2002).

4. Le domaine mystique qui s’intéresse à 4 figuiers. Il s’agit de F. glumosa ; F. iteophylla, F. ovata et F. sycomorus. Ces arbres sont vénérés et considérés comme protecteurs des villages et des champs mais aussi des nouveaux mariés (Aké Assi, 1990 ; Prodefi/Burest, 2001). Beaucoup de paysans considèrent les Figuiers comme une source de fertilité pour leurs champs à cause des déjections déposées par les oiseaux, les chauves-souris et les singes mais aussi pour des raisons mystico-religieuses.

5. Le domaine de l’artisanat avec 3 figuiers utilisés. En sculpture et en menuiserie les feuilles de F. exasperata sont utilisées comme papier à polissage. Le bois de F. sycomorus est utilisé dans la fabrication des cuves à bière et l’écorce de F. thonningii pour la confection de pagnes (Cunningham, 1996).

6. Le domaine du reboisement urbain et rural où 5 figuiers sont utilisés. Ces figuiers sont plantés en ville dans les grandes avenues (F. lutea, F. polita, F. thonningii) ou dans les villages (F. Platyphylla, F. thonningii et F. umbellata) pour servir soit de taxons d’avenues, soit d’arbres à palabre. Ils sont aussi plantés pour les raisons alimentaires (F. umbellata), mystiques ou médicinales (F. sycomorus) déjà évoquées (Berhaut, 1979).

7. Le domaine de la chasse où la glu obtenue après cuisson du latex de F. elasticoïdes, de F. lutea, de F. thonningii et de F. trichopoda et mélangée à du beurre de Karité est utilisées pour piéger les oiseaux.

Figues de trichopoda
Figues de trichopoda

Au Sénégal, comme partout ailleurs, les conditions écologiques sont très déterminantes dans la répartition géographique des figuiers. L’abondance et la diversité des espèces de figuiers s’accentuent progressivement du nord au sud suivant le gradient croissant de la pluviométrie, comme dans le cadre général de l’Afrique tropicale. Ainsi, il existe des figuiers de savanes à aires de répartition plus vastes et des des figuiers de forêts humides inféodées aux régions littorales et sud du Sénégal.

Le climat guinéen des régions côtières serait favorable à l’installation des figuiers. En effet, F. elasticoïdes, F. natalensis et F. ottoniifolia ne sont présentes dans la région de la verte Casamance.

La nature du substrat et l’altitude semblent influencer aussi la répartition des espèces et plus particulièrement celle de F. abutilifolia qui n’est présente aux sommets des contreforts du Fouta Djalon sur des roches granitiques ou grès-quartzites.

La répartition des espèces de Ficus s’explique également par leurs propriétés ethnobotaniques qui font qu’elles sont entretenues dans les champs, dans les villages et plantées le long des rues et avenues citadines pour leurs intérêts médicamenteux, mystiques, alimentaires et décoratifs.

BIBLIOGRAPHIE

1. AKE ASSI L., 1990 – Utilisation de diverses espèces de Ficus L. (Moraceae) dans la pharmacopée traditionnelle africaine en Côte d’Ivoire. Comptes rendus de la XIIe réunion plénière de l’aetfat. 3ème symposium. Mitt. Inst. Allg. Bot. Hamburg. Band 23b S. p.1039 – 1046 
2. BERG C.C. & WIEBES, J.T., 1992.- African fig trees and fig wasps. Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen. Amsterdam, p.1-298. 29.
3. BERHAUT J., 1979.- Flore illustrée du Sénégal. Tome VI. Ed. Gouvernement du Sénégal, Ministère du Développement Rural et de l’Hydraulique, Direction des Eaux et Forêts. Clairafrique, Dakar. p.403-496. 31.
4. BHATTACHARYYA B. et JOHRI 1998- Flowering Plants : Taxonomy and Phylogeny. Ed Springer-Verlag. Narosa Publishing House. New Delhi, India. p.64-66.
5. CONDIT I., 1964 – Cytological studies in the genus Ficus L. III. Chromosome numbers in 62 species. Madroňo 17 : 153-155 p.
6. CUNNINGHAM A.B., 1996 – Peuples, parcs et plantes : recommandations pour les zones à usages multiples et alternatives de développement autour du parc national de Bwindi Impénétrable, Ouganda. Document de travail Peuples et Plantes, n°4, UNESCO. Martin Walters et Robert Hoft. Paris, France. http://www.rbgkew.org.uk/peopleplants/pdf/wp4f.pdf 
7. GARINE I., 2002 – Nourriture de brousse chez les Muzey et les Masadu Nord Cameroun.13p. http://www.uni-bayreuth.de/afrikanistik/megatchad/Table/Colloque2002/IgorGarine.pdf
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9. GUY A. A., 2001.- Les fruits sauvages comestibles des savanes guinéennes de Côte d’Ivoire : état des connaissances par une population locale, les Malinkés. Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 5 (1), p. 43-58.
10. LEBRUN, J., 1934 – Les espèces congolaises du genre Ficus L. Académie Royale de Belgique, Bruxelles, Belgique. 75 p.
11. OKAFOR J. et HAM R., 1999 – Identification, utilisation et conservation des plantes médicinales dans le Sud-Est du Nigéria. Programme d’Appui à la Biodiversité. Thème de la biodiversité n°3, 8 p. http: //www.worldwildlife.org
12. PRODEFI/BUREST, 2001.- Etude de base sur la connaissance des conditions socioéconomiques et écologiques de la zones d’intervention du PRODEFI- Arrondissement de Paoskoto, – terroir inter villageois de Mamby. Rapport final. Dakar, Sénégal. 45p. http://prodefi.at.infoseek.co.jp

Par Dr. Doudou Diop, Chargé de recherche à l’IFAN-CAD, UCAD, Dakar-Sénégal.