«Le Sénégal n’est pas une démocratie achevée»

Sénégal

Le Docteur en Sciences politiques, Jean Charles Biagui, jette un pavé dans la mare : «le Sénégal n’est pas une démocratie achevée». Interpellé hier, jeudi 24 janvier, sur la tension politique qui règne en cette période de précampagne électorale, l’enseignant chercheur à la Faculté des Sciences politiques et juridiques de l’Université de Dakar a indiqué que cela est lié à une certaine socialisation par la violence.

«Tout d’abord, je rappelle que la violence politique n’est pas un fait nouveau au Sénégal ; c’est un phénomène ancien. Rappelez-vous, les assassinats de Demba Diop et de Mamadou Lamine Badji. Même si le lien avec la politique n’est pas tout à fait établi, il reste qu’il y a de fortes présomptions et c’est très probable et certain que ces assassinats ont une connotation politique.

Il en est de même pour Cherif Aïdara et tout récemment, la vice-présidente du Conseil économique social et environnemental, Fatoumata Mactar Ndiaye, sans compter l’affaire Barthélémy Dias malheureusement suivie aussi de mort d’homme. Tous ces cas montrent que la violence politique n’est pas un phénomène nouveau au Sénégal.  Cependant, ce qui est tout à fait nouveau, c’est la forte médiatisation due à l’explosion du paysage médiatique sénégalais. Avant, on n’avait que la RTS maintenant, avec la multiplication des médias privés, la violence politique est de plus en plus médiatisée. Autre chose à souligner également, c’est ce que je qualifie le phénomène de socialisation de la violence politique.

La démocratisation de la société sénégalaise n’a pas justement permis d’établir une rupture avec ces pratiques de violences. Ce qui est tout à fait regrettable parce qu’au moment où le Sénégal connait des alternances, où beaucoup pensent que la démocratie du Sénégal est en voie d’achèvement, on se rend compte, malheureusement, que la violence politique n’a pas disparu. Et c’est ainsi qu’on a toujours fait de la politique au Sénégal et, il ne faut donc pas s’étonner que la violence soit érigée en règle puisqu’il y a une certaine socialisation par la violence. L’autre élément à mettre aussi dans la balance pour comprendre les violences politiques est l’absence de neutralité notée au niveau de la justice et de l’administration.

Lorsque les institutions judiciaires ne sont pas capables de faire le travail pour lequel la Constitution les a mises en place, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait une violence parce que les arbitres ne jouent pas leur rôle, je veux dire le Conseil constitutionnel et l’administration d’une manière générale qui sont censés être neutres et régler les différends entre les principaux protagonistes.

Maintenant, lorsque ces institutions ne font pas ce travail-là, nous sommes dans ce que Hobbs appelle l’état de nature, lorsque l’Etat ne joue pas son rôle de protéger les citoyens, garantir leur sécurité ou encore arbitrer leurs différends. Il ne faut pas s’étonner que les citoyens prennent des initiatives pour gérer eux-mêmes leur sécurité. Maintenant, pour ce qui est de la situation politique actuelle, c’est vrai que les signes que nous avons ne sont pas encourageants mais encore, cela témoigne d’une chose que les observateurs et les Sénégalais doivent comprendre : la démocratie sénégalaise n’est pas une démocratie achevée, la démocratie sénégalaise est incomplète.

Nando Cabral GOMIS