«LE PRESIDENT SALL A SU BIEN PARTAGER LE POUVOIR, NEUTRALISER SES ALLIES DANS LE TEMPS POUR RENFORCER L’APR»

Sénégal

La gestion de la coalition Benno Bokk Yaakaar par le président Sall lui a été beaucoup facilitée par le contexte politique de sa prise de pouvoir, et par la situation personnelle des principaux leaders de cette coalition. Macky Sall est arrivé au pouvoir en 2012, après sa victoire au second tour contre Abdoulaye Wade, par rapport à qui un consensus de tous les autres candidats s’était dégagé, qu’il ne pouvait pas être candidat. Dès lors, le report de voix face à un non candidat a été quasi-automatique en faveur de Macky Sall. En plus, la plupart des leaders qui l’ont rejoint et qui avaient les partis politiques les plus structurés et représentatifs comme le Ps et l’Afp ou qui ont une certaine capacité de nuisance par rapport à leur expérience dans l’opposition comme le Pit, la Ld/Mpt devenu entretemps Ld et Aj/Pads étaient tous en fin de carrière. Qu’il s’agisse respectivement de Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily et Landing Savané.

Le président Sall est arrivé donc au pouvoir à un moment de transition dans la scène politique sénégalaise, et lui même constitue un signe et un signal de cette transition. Donc, la stratégie du président Macky Sall a été de fidéliser le Ps et l’Afp notamment, qui sont ses principaux alliés, les plus représentatifs électoralement, en se montrant généreux envers leurs leaders dans le partage du pouvoir, du prestige et des privilèges, de façon à les utiliser quant à étouffer dans leurs partis l’expression de tout autre leadership susceptible de le concurrencer dans sa volonté d’obtenir un second mandat. C’est ce qui a provoqué les scissions initiées au Ps par Khalifa Sall et ses affidés et à l’Afp par Malick Gakou. Après le retrait d’Abdoulaye Bathily, la Ld également n’a pas échappé à cette logique, avec la création de la Ld debout, à la suite de divergences par rapport au compagnonnage du parti avec le Président Sall dans le cadre de Bennoo Bokk Yaakaar.

Par ailleurs, il se poserait un problème de cohérence pour les partis qui ont soutenu le président Sall au second tour et qui ont participé à la gestion du pouvoir ; et qui donc sont responsables et comptables de son bilan, de présenter un candidat contre lui. Quel discours électoral crédible pourraient-ils tenir en ce moment ? Idrissa Seck qui, à l’origine, faisait partie de Bennoo Bokk Yaakaar a très tôt quitté parce qu’il avait l’ambition de se présenter à la prochaine présidentielle, car plus longtemps on restait dans la coalition, plus on compromettait ses chances de se positionner judicieusement par rapport à l’échéance de 2019. Macky Sall a donc été beaucoup servi par le moment historique de sa prise du pouvoir à un moment de transition de la classe politique. Il a su également bien partager le pouvoir, neutraliser ses alliés en les affaiblissant dans le temps, pour renforcer son parti, l’Apr, qui par exemple à lui seul détient la majorité à l’Assemblée nationale en dehors de ses alliés de Benno Bokk Yaakaar, en plus de contrôler une bonne partie des collectivités territoriales du pays.

«LE PRESIDENT SALL A REALISE UNE PROUESSE MAIS…»

La gestion des équilibres et du rapport de force en politique relèvent toujours d’une grande subtilité, et sur cette base, on peut dire que le président Sall a réalisé une prouesse. Même s’il a été beaucoup favorisé encore une fois par le contexte. Mais il faut relativiser tout cela, car on est dans la manipulation des appareils politiques. Or, la manipulation des appareils peut ne pas induire la manipulation des électeurs ! Donc, on peut se retrouver avec une coalition gigantesque du point de vue du nombre de partis et de mouvements de soutiens sans être majoritaire ! C’est arrivé à Abdou Diouf en 2000 et à Abdoulaye Wade en 2012. À préciser également que la coalition Bennoo Bokk Yaakaar malgré son gigantisme n’a obtenu que 49,48% des voix aux Législatives du 30 juillet 2017, malgré tous les graves dysfonctionnements constatés.

Car, les partis sont certes des machines électorales, mais celles-ci, quel que soit leur nombre dans une coalition au pouvoir peuvent se révéler inefficaces, dès lors que l’essentiel des citoyens qui sont en dehors des partis ne sont pas satisfaits de la gestion du pouvoir et estiment que leurs préoccupations ne sont pas prises en charge correctement, par rapport à la santé, à l’éducation, à l’accès à l’eau potable, par rapport au chômage, à la pauvreté qui se développe, à la corruption, au gaspillage des ressources publiques, à la remise en cause des acquis démocratiques, au piétinement de l’État de droit, etc. Les manœuvres politiques les plus cyniques et les ruses les plus déconcertantes ne peuvent rien contre cela, sauf à violer l’expression de la volonté populaire, et dans ce Sénégal d’aujourd’hui, cela est peine perdue, car les citoyens sont mûrs et déterminés à préserver la démocratie et la manifestation intègre de la souveraineté populaire !

Originally posted 2018-10-17 21:31:26.