Intégration : mais pourquoi la Cedeao attire-t-elle tant ?

Afrique

Le Maroc mais aussi la Tunisie et la Mauritanie ont frappé à la porte de l’organisation d’intégration économique ouest-africaine. Voici pourquoi.

À Monrovia, au Liberia, ce 4 juin, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao, 15 pays) a donné son accord de principe à la demande d’adhésion du Maroc. Officiellement candidat depuis février, à la suite de son retour en janvier au sein de l’Union africaine, le royaume chérifien en a étonné plus d’un par sa démarche.

En effet, qu’est-ce qui pousse ce pays bien au nord du continent à traverser le Sahara ? Eh bien, face à une Europe dont l’économie est en berne, le Maroc (après avoir échoué à faire une union du Maghreb) mais aussi la Tunisie, qui a demandé un statut d’observateur au sein de la Cedeao, et la Mauritanie, qui devrait bénéficier d’un accord d’association après des années de rapprochement avec le Maghreb, regardent du côté de l’Afrique subsaharienne, la deuxième région la plus dynamique au monde. « L’Afrique de l’Ouest sera un acteur-clé des relations interafricaines et des défis du continent », assure auprès de l’AFP une source marocaine qui a tenu à garder l’anonymat.

La Cedeao : un chapelet d’atouts

« La Cedeao est bel et bien un exemple pour un grand nombre de communautés économiques régionales, car son programme d’intégration avance bien. Le protocole sur la libre circulation des personnes est en place depuis près de trente ans, ce qui suggère que l’intégration du continent est possible », explique Amira Al-Fadil, la commissaire de l’UA aux Affaires sociales. L’intégration régionale, la démocratie et les processus politiques ou encore le maintien de la paix sont quelques-uns des domaines qui font le succès du bloc régional ouest-africain ces dernières années. Créé le 28 mai 1975, le bloc subrégional de 15 membres a adopté son protocole sur la libre circulation des personnes et les droits de résidence et d’établissement en 1979. Depuis juillet 2014, les permis de résidence dans tous les pays membres sont abolis. En plus de s’autofinancer grâce notamment aux droits de douane communautaires sur toutes les importations depuis des pays extérieurs à la Cedeao, sa principale source de financement depuis 1996.

Selon les institutions financières panafricaines, l’intégration régionale est l’une des stratégies déterminantes du développement des pays africains. Aussi, pour la Commission économique pour l’Afrique (CEA), « les Africains doivent se mettre en quête d’une croissance principalement ancrée sur leurs priorités et capable d’impulser une transformation structurelle ».

La sous-région a récemment connu deux élections réussies en Gambie et au Ghana. « Lorsque nous parlons de démocratique et de transition pacifique du pouvoir, la Cedeao arrive là encore en tête, et elle a même vu l’élection de la première femme présidente du pays. Les élections récentes en Gambie et au Ghana démontrent le niveau de maturité du processus politique démocratique dans la sous-région, a-t-elle observé. En tournant nos regards vers l’Afrique, nous comptons sur cette sous-région pour démontrer son leadership et sa maturité politique, non seulement au sein du bloc, mais au niveau de tout le continent. »

Une attractivité économique qui s’affirme

Le commerce interrégional s’élève à 10 % entre les pays de la Cedeao, même si ces chiffres sont à relativiser, souligne la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique dans son rapport datant de 2013. Comparativement, ces échanges interrégionaux s’élèvent à 19 % au sein de la SADC, mais tombent à 3 % pour l’ensemble du continent africain. Pourquoi ces chiffres restent-ils importants et la Cedeao paraît-elle s’en sortir ? Parce que la communauté totalise 320 millions d’habitants. Sa population est la plus jeune au monde, répartie sur 5,1 millions de kilomètres carrés, pour un PIB total supérieur à 730 milliards de dollars, selon les données du FMI et de la Banque mondiale. La Cedeao est donc considérée comme l’une des 20 premières économies du monde et réalise une très forte croissance annuelle. Elle est également citée en exemple en matière d’intégration avec son passeport et sa carte d’identité unique – grâce à une forte politique de libre circulation. Et surtout à l’intégration financière et macroéconomique en son sein. Sa croissance enregistrée ces dernières années attire. Son PIB a augmenté de 6,3 % entre 2007 et 2012, il est de 5,7 % en 2013 ou encore 6 % en 2014, avant une chute brutale due à différentes crises en 2015, atteignant 3,1 %.

Nigeria, Côte d’Ivoire, Togo et Sénégal : ces locomotives si diverses de la zone ouest-africaine

Si le Nigeria apporte la plus importante contribution à la région en matière de création de richesses (avec 75 % du PIB régional), le géant africain ne fait pas partie des pays détenant les meilleures performances de l’intégration régionale. La Côte d’Ivoire devance le Nigeria en matière d’intégration régionale, mais ne représente que 6 % du PIB de la région. Le pays d’Alassane Ouattara, redevenu la locomotive de l’UEMOA, est suivi du Togo et du Sénégal sur l’indice d’intégration. Mais, là encore, il y a des nuances : le Togo, par exemple, affiche un score élevé en termes d’infrastructures régionales, d’intégration productive, de libre circulation des personnes, d’intégration financière et macroéconomique ; le Sénégal est plutôt en tête dans le domaine de l’intégration commerciale.

Cedeao-Maroc : une décision « logique »

« La séquence politique (de l’adhésion du Maroc) vient de s’achever. Elle ouvre la voie à une séquence juridique qui doit rendre cette adhésion effective. Viendra ensuite une séquence technique, où il faudra négocier secteur par secteur », a expliqué à l’AFP une source diplomatique marocaine haut placée. Le Maroc est devenu ces dernières années le premier investisseur en Afrique de l’Ouest, où le Roi Mohammed VI a effectué plus de 23 déplacements dans 11 pays, marqués par la signature de centaines de contrats d’investissements. « La différence entre le fait d’avoir une politique africaine ou autre, et le fait de pratiquer des échanges diplomatiques au sein d’une aire régionale donnée, consiste dans la longévité et la cohérence de cette politique. Le Maroc est lancé dans cette politique africaine, il ne peut plus faire machine arrière, surtout depuis son retour à l’UA. Plus concrètement, cela signifie pour le royaume de penser des objectifs et des stratégies à long terme, de mobiliser des acteurs toujours plus nombreux, de faire participer davantage la société civile et, surtout, de remplir les engagements prônés par les dirigeants à chaque tournée africaine », analysait en un peu plus tôt Yousra Abourabi, spécialiste en relations internationales.
En dépit de ce calendrier qui ne devrait pas connaître d’embûches et devrait s’achever dans six mois, par des accords techniques sur différents secteurs (monétaires, réglementaires…), les défis sont nombreux, surtout pour le positionnement compétitif dont jouit le Maroc. Ainsi, le Centre marocain de conjoncture (CMC), dans sa dernière lettre mensuelle, s’est intéressé de plus près à la perspective d’intégration du Maroc à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest en prenant trois enjeux de taille, tels que la gestion migratoire « sous l’effet du principe de libre circulation des ressortissants des pays membres avec un passeport et une carte d’identité Cedeao ». Mais aussi sur le plan des accords de libre-échange « en vigueur au Maroc, avec l’instauration du tarif extérieur commun (TEC), mis en place par la Cedeao depuis 2015, sur lequel se greffe l’harmonisation des politiques budgétaires », indique le texte.

Cedeao : vers un élargissement aux pays du Maghreb ?

Le roi du Maroc a renoncé à assister au sommet de Monrovia en raison de tensions, selon Rabat, dues à l’invitation adressée au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. S’agissant de l’accord d’association avec la Mauritanie, les chefs d’État ont estimé que, pour en bénéficier, ce pays, ancien membre de la Cedeao, devrait plutôt « présenter une demande de pleine adhésion », selon le communiqué. La Mauritanie avait quitté la Cedeao en 2000, préférant son appartenance à l’Union du Maghreb arabe (UMA) qu’elle partage avec l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Tunisie.

Les dirigeants ouest-africains ont, en revanche, approuvé la demande de statut d’observateur de la Tunisie, sous réserve de la vérification par la commission de la Cedeao du respect de ses règles en la matière.

Pour prendre la pleine mesure du nouveau poids de cette organisation sous-régionale dans le continent, il faut donc regarder vers l’horizon 2020.

Originally posted 2018-06-05 20:44:34.

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