Football : au Sénégal, les malentendants s’emparent du ballon rond

« L’Afrique au centre du jeu » (4/4). Championne d’Afrique en 2021, l’équipe nationale des sourds vient de décrocher la médaille de bronze lors du Mondial en Malaisie.

Dans le petit groupe de joueurs à l’échauffement, la joie de vivre d’Issa Tall ne passe pas inaperçue. Entre les rires et les tapes amicales sur le dos de ses partenaires, il faut l’entendre s’exprimer par des sons indistincts pour reconnaître « Issa Moumeu » (Issa le sourd), comme on l’appelle affectueusement dans le quartier populaire de Fass, à Dakar.

Si le défenseur central se fond à merveille parmi ses partenaires, c’est parce qu’« il a fait toutes ses classes avec eux depuis la petite enfance », raconte Sowrou Dieng, son entraîneur de l’ASC Fass Delorme : « Nos écoles de football recevaient des enfants avec tous types de handicaps. J’ai personnellement vu passer d’autres malentendants dans la mienne et il n’y avait pas de différence de traitement entre les enfants porteurs de handicaps et leurs camarades sans handicap. »

Si Issa Tall s’entraîne avec les joueurs bien entendants d’un club de « navetanes », le championnat sénégalais de football, il est aussi le capitaine de l’équipe nationale des sourds et revient d’une campagne réussie au Mondial de cette catégorie en Malaisie, début octobre. Le Sénégal fait en effet parti des 56 pays au monde qui comptent des sélections de sourds et des six Etats africains qui ont envoyé une équipe à la Coupe du monde organisée par la Deaf international football association. Lors de la dernière édition, les Lions de la Teranga ont inscrit à leur tableau des victoires contre des équipes comme l’Argentine ou les Etats-Unis, avant de décrocher la médaille de bronze face à l’Egypte « malgré des conditions pas à la hauteur », regrette leur entraîneur, Souleymane Bara Fomba.

Former les arbitres

Ce qu’il entend par là, c’est que de faibles moyens sont déployés par les autorités pour accompagner les Lions sourds. Pourtant, ils n’en sont pas à leurs premiers exploits. En 2021, l’équipe s’est fait connaître du grand public quand elle a remporté le championnat d’Afrique des sourds, les « Deaflympics », pour sa première édition au Kenya. Lorsque, quelques années plus tard, le Sénégal se vante d’une série de trophées continentaux dans le football des bien-entendants, certains spécialistes rappellent que l’élan victorieux n’a pas débuté avec les coéquipiers de Sadio Mané… mais avec la bande d’Issa Tall.

« Le sport des sourds au Sénégal a progressé au cours des dernières années », assure Mamadou Lamine Diallo, le secrétaire général de l’Association des sports des sourds du Sénégal. Mais de multiples défis restent à relever : s’assurer de la régularité des compétitions entre sourds, multiplier les clubs locaux pour permettre aux joueurs d’autres régions que la capitale de se démarquer… Pour détecter des talents et préparer la prochaine Coupe du monde, dix équipes venues de différentes localités du pays se sont ainsi affrontées lors d’un tournoi en septembre. « Nous avons une bonne relève et un énorme réservoir de joueurs », se félicite Souleymane Bara Fomba.

Abdou Aziz Dieng, lui, voit plus loin. Interprète en langue des signes et ancien entraîneur du Sénégal lors du championnat d’Afrique de 2021, il rêve d’une intégration des sourds dans le football professionnel aux côtés des bien-entendants. Première étape : former les arbitres à allier les signaux visuels aux alertes sonores. Un exemple ? « L’arbitre central tient un sifflet et un drapeau. A chaque fois qu’il doit siffler un but ou un coup franc, il lève le drapeau en même temps, comme ça les joueurs sourds s’arrêtent. » Optimiste malgré « l’absence d’avancées », Abdou Aziz Dieng assure qu’une telle réforme permettrait aux sourds de « s’exprimer sur le terrain, extérioriser leurs talents mais aussi abolir les différences ».