Au cœur de l’Afrique qui bouge : Rwanda, le grand petit pays

Reportage

Kigali, la capitale du Rwanda, le pays des Mille Collines, est une ville très surprenante qui ne ressemble à aucune autre. Drapée d’un iemmnse tapis de verdure, elle épouse ces fameuses collines qui ont donné un second nom au pays et ondule au gré de leurs formes. Kigali refuse de se livrer du premier regard.

Elle exige de ses visiteurs de prendre le temps de la découvrir en partant à l’assaut des monts et vallées qu’elle a décidé de coloniser. Fondée en 1907 en tant que petit avant-poste colonial, c’est aujourd’hui une métropole moderne et le principal centre d’affaires du pays.

Immeubles modernes et habitations se nichent au milieu d’une végétation souvent luxuriante. Jardins et pelouses sont impeccablement entretenus et la propreté est partout. Le long des rues larges et bordées d’arbres majestueux et de jardins verdoyants, des écoliers sur le chemin de l’école portent des uniformes.

Au premier regard, on se rend compte que la cité n’a nullement usurpé son titre de ville la plus propre et la plus sûre d’Afrique. Les sachets en plastique y sont interdits depuis des années et une armée de femmes en uniforme s’emploient dès le matin à balayer les rues et les espaces publics qui ne reçoivent souvent que les feuilles mortes qui tombent des arbres.

Le pays s’apprête à célébrer le triste anniversaire du génocide suivi de guerre civile qu’il a connus il y a très exactement 25 ans, mais cette page noire a été tournée et le regard est résolument tourné vers l’avenir. L’heure, cependant, est à l’Africa Ceo Forum qui réunit chaque année le who’s Who du secteur privé africain.

Chaque pays essaie de se placer au mieux

Situé au sommet d’une colline verdoyante, le Centre des conventions de Kigali commence doucement à s’animer en cette fin de journée de dimanche 24 mars, veillée d’armes de l’Africa Ceo Forum, le plus grand rendez-vous des chefs d’entreprises privées africaines.

Organisé par Jeune Afrique Media Groupe et Rainbow Unlimited avec le concours de l’International Finance Corporation de la Banque mondiale, le forum est devenu le rendez-vous incontournable des chefs d’entreprise africains, des décideurs et investisseurs du monde entier. C’est là que beaucoup de choses se décident.

C’est un espace de débats et d’échanges sur les stratégies africaines de développement économiques, mais également une opportunité de faire du business, des affaires, des pactes de partenariat, etc. En fait, dans ce genre de forum, chaque pays essaie de se placer, de se vendre au mieux aux nombreux investisseurs présents.

Certains y envoient carrément leur président en VRP. Pas moins de quatre chefs d’Etat, ceux du Rwanda, du Togo, de la République du Congo et de l’Ethiopie sont là aux côtés de 28 ministres.

En tout, ce sont 1800 participants, dont les chefs d’entreprise les plus influents du continent africain qui assistent en cette matinée de lundi 25 mars à la cérémonie d’ouverture qui se tient dans l’immense salle du Centre des conventions. «Le développement du continent ne peut pas se faire sans le secteur privé africain.

Les investisseurs doivent être impliqués», plaide Amir Ben Yahmed, président de l’ACF en invitant les gouvernements à permettre au secteur privé africain de jouer son rôle dans la création d’emplois nécessaires à la croissance démographique de l’Afrique. D’autant plus, comme le souligne Philippe Le Houerou, le directeur général de l’IFC, «l’Afrique a besoin de 1,7 million de nouveaux emplois chaque mois». «La seule façon de le faire est de développer un secteur dynamique et compétitif, fondé sur le libre-échange et les opportunités à travers le continent. Nous avons donc besoin de visionnaires, de pragmatiques et de nouveaux marchés», dira-t-il.

Rwanda, la nouvelle success story africaine

Dans son discours lu devant l’assistance, Paul Kagame, le président du Rwanda, plaide, lui, pour la mise en œuvre rapide de la Zone de Libre-échange continentale (ZLEC) qui jouerait le rôle de puissant moteur pour la croissance du secteur privé et l’émergence de nouveaux champions africains.

En fait, le Rwanda connaît ces dernières années un développement économique qui force l’admiration et le respect de tous les observateurs attentifs aux grands changements économiques dans le monde.

C’est la nouvelle success story africaine. Pour preuve, dans le classement Doing Business de la Banque mondiale, le pays des Mille Collines est classé à la 29e place. En 10 ans, il a fait un bond prodigieux de 110 places.

A titre de comparaison, le Maroc est classé à la 60e place et la Tunisie à la 80e place. Quant à l’Algérie, il faut plonger dans les profondeurs du classement pour la trouver : 157e sur un total de 190 pays et villes.

Par contre, dans l’étude menée par le cabinet d’audit et de consulting Deloitte auprès de 120 chefs d’entreprise africains dont les chiffres d’affaires sont supérieurs à 100 millions d’euros, l’Algérie pointe à la 12e place des pays attractifs en termes d’investissements derrière les champions africains qui sont dans l’ordre, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, le Kenya, l’Ethiopie, l’Afrique du Sud, le Ghana, le Maroc, le Nigeria, le Sénégal et la Tunisie.

Ces dernières années, l’Afrique bouge et voit émerger des pays qui connaissent un taux de croissance respectable. Six des dix pays qui connaissent le taux de croissance le plus haut au monde sont africains. Il s’agit, dans l’ordre, du Ghana (8,7), l’Ethiopie (8,2), la Côte d’Ivoire (7,2), Djibouti (7), Sénégal (6,9) et Tanzanie (6,8). L’Afrique de l’Est n’est pas en reste : son taux de croissance est de 6%. A titre d’exemple, celui de l’Algérie était de 2,2 en 2017 après avoir été de 3,3 en 2016. Cela veut dire qu’il couvre à peine le taux de croissance démographique.

Pour Amir Ben Yahmed, le modèle de développement du Rwanda est basé sur trois choses : l’éducation, l’innovation et la performance. En dehors de la langue locale, le kinyarwandais, parlée par une majorité d’habitants, les langues de travail sont l’anglais et le français, mais avec une nette préférence pour la première. Les femmes rwandaises sont très actives et ce n’est pas pour rien que l’AFC met l’accent sur le leadership féminin en économie.

Dès le premier jour, nous partons à la recherche des Algériens présents à ce forum, ils se comptent sur les doigts d’une seule main. Il y a Abderrahmane Benhamadi, le PDG de Condor, venu avec Réda Hamaï, son Deputy CEO, et Hassen Khelifati, le PDG d’Alliance Assurances. L’Algérie ayant fermé son ambassade au Rwanda, il y a un chargé d’affaires, Abdelaziz Djafri en l’occurrence, qui assure une présence toute symbolique aux côtés des hommes d’affaires algériens.

«L’Afrique subsaharienne est en train de nous distancer»

Hassen Khelifati, PDG d’Alliance Assurances, avoue qu’il est ici beaucoup plus pour prendre des contacts, échanger avec les partenaires et les collègues et surtout voir comment les économies africaines se sont développées en axant leur stratégie sur le développement du secteur privé.

Pour lui, il est impossible de construire une économie en maintenant les vieux schémas de développement, en ne prenant pas le cap de la digitalisation, des nouvelles technologies et du rôle central du secteur privé dans les nouvelles économies. «L’Afrique subsaharienne est en train de nous distancer sur beaucoup de plans : vision, organisation, formation, digitalisation et modernisation de l’infrastructure de l’économie et de l’administration.

Chez nous, malheureusement, on fait un pas en avant et un autre en arrière. L’Afrique, c’est la profondeur stratégique de l’Algérie et tandis que les pays maghrébins sont présents en force, l’Algérie est absente comme toujours. Nous, on vient en initiative privée et on aurait aimé que nos officiels soient présents et qu’ils comprennent enfin les enjeux économiques du futur», dit-il.

Rencontré au cours d’un dîner, Casper Kundert, qui dirige une société américaine de cartographie informatique, connaît bien le Rwanda pour s’y être installé depuis quelques années.

Ce suisse qui est également le consul honoraire de Norvège explique le changement spectaculaire que connaît le pays par «la bonne gouvernance». «Le Rwanda a fait beaucoup de progrès.

Ils ont su dépasser la tragédie du passé et repartir du bon pied en mobilisant toutes leurs ressources, surtout humaines.» Bonne gouvernance, éducation, performance ? C’est peut-être là que réside la leçon à tirer de ce petit pays 90 fois plus petit que l’Algérie mais qui fait cent fois mieux.