Au Sénégal, « un coup KO ». Le président sortant Macky Sall a été réélu dès le premier tour avec plus de 58% des voix. C’est ce qu’a annoncé, ce jeudi 28 février, la Commission nationale de recensement des votes. Un résultat vivement contesté par l’opposition. Quelles leçons tirer de ce scrutin ? Alioune Tine a été le directeur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, il dirige Afrikajom Center, le laboratoire d’idées qu’il a créé il y a un an à Dakar. En ligne de la capitale sénégalaise, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Quelle est la principale leçon que vous tirez de cette élection présidentielle ?
Alioune Tine : La principale leçon, c’est la question du deuxième mandat, l’obsession de passer coûte que coûte au premier tour, ce qu’on appelle le « un coup KO ». Cette obsession traverse pratiquement toute l’Afrique de l’Ouest. Dès qu’on a le premier mandat, on essaie d’user de tous les moyens – institutionnels, juridiques et puis moyens financiers – pour faire en sorte effectivement de passer au premier tour. Parce que, si on passe au deuxième tour, généralement c’est un signe de faiblesse, que ce soit en Guinée, que ce soit au Niger, en Côte d’Ivoire, au Sénégal. Le « un coup KO » est vraiment la nouvelle maladie des démocraties africaines aujourd’hui.
Et ce que vous voyez, c’est la mobilisation du parti-Etat en faveur de ce « un coup KO » ?
Absolument. C’est également le fait de s’appuyer sur les institutions comme la justice pour neutraliser aussi les adversaires politiques.
Vous pensez sans doute aux condamnations de Karim Wade [le fils d’Abdoulaye Wade, du Parti démocratique sénégalais (PDS)] et de Khalifa Sall [l’ancien maire de Dakar] ?
Absolument parce que, si vous regardez les réactions, que ça soit l’ONU, que ça soit la Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest], partout ils reconnaissent que ce n’est pas par des procès équitables que les gens ont été condamnés et mis en prison.
Qu’espérez-vous aujourd’hui à propos de Karim Wade et de Khalifa Sall ?
Moi, j’espère que Macky va, peut-être dans les meilleurs délais, les libérer. Macky aujourd’hui, là, il est libre avec son deuxième et dernier mandat. Il est libre, il doit réformer. C’est lui qui est le mieux placé aujourd’hui pour réformer le Sénégal ou moderniser le Sénégal. Donc nous avons besoin vraiment d’engager un grand débat national pour réconcilier les Sénégalais avec la démocratie, pour réconcilier les Sénégalais avec les droits humains. Parce que, c’est très important, on a vécu quand même un septennat qui a été marqué par un certain autoritarisme.
Le premier mandat de Macky Sall a été marqué par de grands travaux, comme la ville nouvelle de Diamniadio, le nouvel aéroport international, le pont transgambien. Beaucoup de Sénégalais n’ont-ils pas voté pour Macky Sall à cause de cela quand même ?
Oui, il y en a beaucoup qui ont voté à cause de cela. Il faut saluer les réalisations de Macky. Moi-même, je m’en réjouis. Pour tout ce qu’il a fait à Diamniadio, on dit « bravo » et puis « chapeau Macky Sall » d’avoir fait ça. Maintenant, il faut attaquer le chantier des réformes pour la refondation des institutions du Sénégal. Ça, c’est le nouveau chantier, parce que ce sont nos démocraties qui sont malades, qui produisent du conflit extrêmement dur.
Derrière Macky Sall, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck fait un beau score. Plus de 20%. Etes-vous surpris ?
Non. Parce que, Idrissa, c’était une coalition impressionnante. Ce rebondissement d’Idrissa Seck, pas mal de gens ne s’y attendaient pas. Et puis Idrissa a travaillé en profondeur, s’est remis en question, a changé de méthode. Idrissa a bien travaillé. Puis il a eu aussi le retour, je veux dire, d’investissements. Il a bien soutenu Khalifa Sall qui le lui a bien rendu à la fin. Tous éléments de Khalifa n’étaient pas derrière lui, mais c’était bien que Khalifa, depuis sa prison, soutienne Idrissa Seck.
Avec 15% des voix, le jeune Ousmane Sonko arrive en troisième position. Il y a un an, est-ce que vous le connaissiez ?
Oui. Je connaissais Ousmane Sonko. Je l’ai rencontré. C’est un jeune d’une très grande politesse, un dirigeant très courageux. Personne ne pensait effectivement qu’Ousmane Sonko allait avoir un succès électoral de cette nature. Cela a surpris tout le monde. Cela a commencé à Dakar avec la jeunesse. Puis Ousmane Sonko est très branché réseaux sociaux. Ensuite, c’est à travers ce qu’on appelle la diaspora, c’est incroyable le succès qu’il a eu avec la diaspora. C’est le fait effectivement aussi qu’Ousmane Sonko produit de la réflexion. Ousmane Sonko a été pratiquement la cible de l’Etat, des autorités au pouvoir, des militants au pouvoir. C’était presque l’ennemi politique numéro un. Donc le résultat, il est là. Il travaille beaucoup. C’est le résultat d’un travail, puis il est bien entouré par beaucoup de gens, des gens de gauche, des gens qui ont une expérience politique avérée dans les partis d’opposition, des gens aussi qui travaillent sur la question des valeurs. Les valeurs ont fait en sorte qu’Ousmane Sonko a été, si vous voulez, adopté par la jeunesse. Il y a aussi le courage, parce qu’ici, les jeunes aiment les « héros », ils aiment aussi ce qu’on appelle les « guerriers ». Ousmane Sonko est perçu comme un guerrier. Et le fait qu’il y ait ces attaques frontales, tout le temps de l’Etat contre Ousmane Sonko, en a fait une victime et cette victime a produit beaucoup de sympathie. Et le résultat, il est là.
Peut-on parler d’une nouvelle génération qui arrive maintenant sur la scène politique sénégalaise ?
C’est exactement ça. C’est un peu l’alternative parce que les propositions de Sonko, surtout sur la réforme des institutions, ce sont les propositions des assises nationales. Donc c’est pratiquement la nouvelle génération qui arrive avec des propositions assez audacieuses et hardies. Et la jeunesse est là. Aujourd’hui, c’est un peu la jeunesse qui monte, c’est la nouvelle légitimité qui émerge au Sénégal aujourd’hui.