Algérie-investisseurs : pourquoi ça ne prend pas

Algérie

DÉCRYPTAGE. Malgré ses importants atouts économiques, l’Algérie n’attire pas autant d’investisseurs qu’elle le devrait. Explications.

Depuis 2014, l’Algérie a vu ses revenus pétroliers chuter de plus de la moitié. Le Fonds de régulation des recettes (FRR), constitué au début des années 2000 pour gérer les excédents budgétaires liés aux exportations d’hydrocarbures et les réserves de change, lui a permis de tenir face à la baisse brutale des prix du pétrole jusqu’en septembre 2017 quand le gouvernement a dû recourir au financement interne non conventionnel (planche à billets). Aujourd’hui, il y a unanimité autour d’un point : la diversification de l’économie n’est plus un choix mais une nécessité absolue.

En théorie, le pays reste très attractif puisqu’il présente d’innombrables atouts : une position géographique et une situation sécuritaire avantageuses, des coûts du travail et d’énergie très réduits, des richesses naturelles, des infrastructures… « L’Algérie est mieux placée que quiconque pour devenir le hub entre l’Europe et l’Afrique parce qu’elle dispose d’atouts réels et vérifiables. Je peux parler de l’électricité, du gaz, des énergies renouvelables », plaidait Ali Haddad, président du Forum des chefs d’entreprises (FCE) dans un entretien à l’Africapresse.Paris.

La règle du 51/49 % : un obstacle

Mais en pratique, les contraintes et difficultés auxquelles est confronté chaque investisseur sont encore nombreuses et rebutent bon nombre d’entreprises étrangères. « Certaines raisons [qui expliquent pourquoi les investisseurs étrangers boudent le pays, NDLR] sont d’ordre technique. Celles-ci sont évidentes », avance d’emblée, Nabil Mellah, PDG de Merinal, laboratoire pharmaceutique. Ce dernier cite notamment la règle du 51/49 %.

Cette disposition contraint tout investisseur étranger à travailler avec un partenaire local qui doit détenir au moins 51 % du capital social. Nabil Mellah prend l’exemple d’un grand constructeur automobile. « Que fera-t-il s’il a le choix entre exporter des véhicules à partir d’une usine qui lui appartient en totalité et où il est le seul à gagner de l’argent ou exporter à partir d’une usine où il a 49 % ? S’il exporte à partir de l’Algérie où il n’a que 5 % ou 49 % de l’usine, il faudra lui construire une stèle car il doit être amoureux de l’Algérie », ironise-t-il.

Si cette règle ne pose pas de grands problèmes pour les multinationales, elle demeure dissuasive pour les PME désireuses de s’installer dans le pays. Dans son rapport consacré au climat de l’investissement dans le monde, le département d’État américain précise que cette règle « entrave l’accès au marché aux PME étrangères », car celles-ci n’ont « souvent pas les ressources humaines ou le capital financier nécessaires pour répondre à ses exigences ».

Instabilité juridique, bureaucratie…

Autres points rédhibitoires pour tout investisseur étranger : l’instabilité du cadre juridique et les délais interminables pour l’obtention d’un permis de construire, d’un agrément ou d’un crédit bancaire. « Prenez la réglementation en matière d’obtention d’un permis de construire, d’un agrément, d’une autorisation d’exploitation. Pour les investisseurs, le temps c’est de l’argent », explique Nabil Mellah. La main-d’œuvre qualifiée fait parfois défaut en dehors de la capitale et des grandes villes du pays.

Pour beaucoup d’investisseurs étrangers, le manque de visibilité à moyen terme est inadmissible. « Tous les pays qui ont développé leur industrie pharmaceutique ont également travaillé avec des multinationales. Ces dernières peuvent s’accommoder d’un environnement difficile. Mais elles ne peuvent pas s’accommoder d’un environnement sans visibilité, sans stabilité et sans cohérence réglementaire », insiste Nabil Mellah. « En Algérie, nous n’avons aucune visibilité sur un an. Ils prennent une décision, ils reviennent dessus », assure-t-il.

« Marché compliqué »

« C’est un marché compliqué. Il suffit de suivre l’actualité pour s’en apercevoir », tranche un industriel qui a souhaité garder l’anonymat. En cette fin de mois de juillet, certains entrepreneurs locaux sont scandalisés devant le blocage d’un projet d’usine de trituration de graines oléagineuses de Cevital. Le groupe d’Issad Rebrab tente depuis plusieurs mois d’introduire sur le territoire national les équipements destinés à ce projet. Sans succès.

« Que les chefs d’entreprise qui sont prêts à signer un courrier commun adressé à nos dirigeants par rapport à l’affaire Cevital se manifestent », a lancé le patron de Merinal sur Twitter. « Le patronat algérien continue à s’enfermer dans le mutisme concernant cette affaire. C’est une honte. C’est l’absence de vision, de solidarité et de respect qui ronge notre économie », écrit Slim Othmani, PDG de NCA Rouiba, une entreprise de jus de fruit.

Problème de toute une économie

Pour cet homme d’affaires, le problème n’est pas lié à quelques mesures prises ou annulées à un moment donné. « L’Algérie a un problème avec son économie. Le pouvoir a un problème avec les questions économiques, il veut continuer à contrôler comme il le faisait dans les années 1970. Il veut interférer dans le processus de décision d’un chef d’entreprise, dans son acte de gestion. Les chefs d’entreprises étrangers le voient », analyse Slim Othmani.

Le mode de fonctionnement même de notre économie pose problème, renchérit un haut fonctionnaire à la retraite. « Nous sommes entre une économie étatisée avec tout ce que cela suppose en matière de gestion des banques, de contrôle des prix et de subventions et une économie de marché. Nous n’avons pas une économie complètement étatisée ni une véritable économie de marché. Nous sommes entre les deux et cela ne marche pas », résume-t-il.

Aujourd’hui, le pouvoir doit impérativement « lâcher prise », estime Slim Othmani. « Quand une entreprise veut s’installer, par exemple, on lui fait toutes les misères du monde. Si elle souhaite obtenir un crédit bancaire, on parle de l’argent du peuple. C’est de la démagogie. Comment voulez-vous qu’une entreprise se développe sans crédit bancaire ? » argumente ce patron.

1,2 milliard de dollars d’investissements étrangers en 2017

Dans son dernier rapport sur l’investissement dans le monde 2018 publié en juin dernier, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) a estimé le flux d’investissements directs étrangers (IDE) capté par l’Algérie en 2017 à 1,203 milliard de dollars contre 1,665 milliard de dollars en 2016, soit une baisse de 26 %.

« Le flux d’investissements directs étrangers en Algérie, qui dépend fortement de l’investissement dans le pétrole et le gaz, a chuté de 26 % pour atteindre 1,2 milliard de dollars, malgré l’ensemble de mesures incitatives accordées dans le cadre de la nouvelle loi sur l’investissement », a précisé l’organisation onusienne qui note toutefois que « les amendements proposés à la loi sur les hydrocarbures pourraient faire augmenter considérablement la participation étrangère dans le secteur pétrolier du pays à l’avenir ».

Vers une reprise ?

En réalité, l’Algérie n’a pas choisi une « ouverture tous azimuts », souligne Mustapha Mekidèche. « C’est-à-dire une ouverture néolibérale de son économie », précise cet économiste. Est-ce une bonne stratégie ? « L’histoire économique récente nous enseigne que les pays comme le Brésil, la Corée du Sud, la Malaisie, ont émergé avec des partenaires internationaux mais appuyés par l’émergence de leur propre secteur privé avec un développement de leurs industries afin de répondre à la demande interne avant de commencer à exporter progressivement », répond-il.

Cet expert international ne dresse pas un tableau noir de la situation économique du pays. « À mon avis, il va y avoir de grands changements dans l’attractivité des investissements en Algérie parce qu’on a besoin de diversifier notre économie et pour cela on a besoin d’un partenariat international dans toutes les branches de l’économie », assure-t-il.

« Il y a une émergence de mon point de vue d’entrepreneurs privés de taille significative en Algérie et qui sont éligibles à l’export. Je pense par exemple à tous les investissements dans la région de Bordj Bou Arreridj, Sétif, Béjaia et Oran. Si vous faites la liste, vous verrez que c’est en train de bouger même si ce n’est pas à la vitesse souhaitée. L’émergence de notre secteur privé est en train de se faire même s’il n’est pas suffisamment visible à l’international », conclut la même source.

Originally posted 2018-07-31 01:45:12.