A l’approche des élections de mai, la question de la redistribution des terres est au cœur du débat.
Peu après la petite ville de Coligny, au milieu des champs, l’asphalte de la route est encombré par les restes d’une émeute qui n’a pris fin qu’à l’aube. Du pneu brûlé, des pierres, des tessons de verre, quelques bâtons encombrent la chaussée. Les restes habituels des manifestations à travers l’Afrique du Sud, lorsque les plus pauvres s’efforcent d’attirer l’attention sur leur désarroi, ou tâchent d’obtenir de municipalités corrompues le rétablissement de services de base. Cette fois-ci, la colère a éclaté près d’un bidonville dont les baraques de métal cabossé ceinturent Coligny, dans la province du Nord-Ouest, à 200 kilomètres de Johannesburg.
C’est ici la région agricole du veld. Partout, la campagne plate et sèche se déploie à perte de vue, avec des silos fatigués comme rare relief. Des champs si grands qu’on n’en distingue pas la fin. Lorsque les cultures auront poussé, il y aura là des étendues vertes dont la taille donne le vertige. Tout aussi vertigineux est le contraste entre ces riches et vastes domaines et les microscopiques parcelles des habitants des bidonvilles. Ces disparités sont peut-être à l’orée d’un important bouleversement. Une réforme de la terre, incluant la possibilité de recourir à des expropriations sans compensation, est en cours d’élaboration. Et cela enthousiasme et effraie, tout à la fois, l’Afrique du Sud.

Il faut encore passer une bonne demi-heure sur des routes désertes pour arriver chez John Rankin, fermier à Gerdau, un minuscule hameau. « J’avais peur que vous ne puissiez pas passer à cause des violences, dit-il, mais c’est comme ça tout le temps, désormais. Je ne sais pas où cela nous mène. » Plus tard, il explique sa théorie : des agitateurs parcourent les townships ou les informal settlements (bidonvilles) dans les petites agglomérations rurales et poussent à l’émeute. Comme un échauffement des esprits, en prélude à des troubles plus graves. Ils appartiendraient à la formation des Combattants pour la liberté économique (Economic Freedom Fighters, EFF) de Julius Malema, l’homme qui a appelé à corriger les inégalités sud-africaines en brandissant l’étendard d’une « révolution » et parfois, aussi, en mentionnant la possibilité de violences raciales. Il est surtout le premier à avoir milité pour une redistribution de terres possédées par les Blancs à la population noire, de manière radicale au besoin. Julius Malema appelle déjà à des « invasions de terres » à travers le pays.