Afrique du Sud – Réforme agraire : hormis les fermes, quelles options ?

Afrique du Sud

ANALYSE. Le débat sur l’application de la réforme agraire bat son plein. Mais au-delà des fermes, premières structures concernées, d’autres types de propriétés pourraient être soumises au nouveau Code foncier.

Dans un contexte de débat passionné, relatif à la réforme agraire que le gouvernement ANC a initié, lorsqu’il est question d’expropriation sans compensation, les premières « terres de la discorde » mentionnées sont les fermes ; en l’occurrence celles qui appartiennent aux Sud-Africains blancs perçus, à tort ou à raison, comme les privilégiés d’anciennes législations ayant privé la majorité au bénéfice d’une minorité, et ce, durant toute la période couvrant les débuts de la colonisation de l’Afrique du Sud et de l’apartheid.

Contre toute attente, des experts sud-africains issus de l’Institute for Poverty, Land and Agragian Studies, de l’université du Western Cape – le professeur Ruth Hall – ou de la Mapungubwe Institute for Strategic Reflection – le professeur Susan Booysen, directrice de cette institution – démontrent que les fermes pourraient ne pas être les seules dans le viseur du pouvoir en place.

D’autres structures concernées

En se focalisant uniquement sur les fermes, les observateurs, ainsi que l’opposition, tendraient à oublier, ou à ne pas vouloir voir, qu’il existe d’autres types propriétés qui seraient soumises à l’expropriation sans compensation. Les moins connues sont tout d’abord les propriétés des entreprises publiques situées principalement dans les zones urbaines. En effet, les compagnies telles que Eskom (entreprise de production et de distribution d’électricité) et Transnet (entreprise publique ferroviaire, portuaire et de pipeline) détiennent des terrains partiellement peu développés. Ils sont bien situés dans les villes, ce qui est, selon Ruth Hall, un avantage certain et central, car proche des opportunités d’affaires, des commerces, des transports. Susan Booysen démontre d’ailleurs que ces terres sous-utilisées pourraient permettre la construction de logements dont la majorité des Sud-Africains ont cruellement besoin.

Les constructions abandonnées, les squats et autres bâtiments non entretenus pourraient également répondre à cette urgence, d’autant plus qu’ils sont également situés en plein centres-villes. Les propriétaires de ces ensembles pourraient avoir envie de déposséder beaucoup plus facilement et ainsi n’être plus redevables aux municipalités en matière de taxes et le gouvernement s’exposerait beaucoup moins à des recours en justice contrairement à ce qui pourrait arriver dans le cadre des expropriations de fermes. L’inconvénient serait en fait pour les municipalités déjà endettées qui pourraient faire face à une pénurie d’impôts locaux.

La troisième « option » et non des moindres serait l’expropriation de mines abandonnées et les décharges. Selon le professeur Booysen, il serait question d’une expropriation mixte de ces terrains miniers, s’il y a une perspective de réouverture d’une mine et donc une perspective de création d’emplois et donc des opportunités de développement économique. Le paradoxe est que le ministre des Mines, Gwede Mantashes, qui est également le numéro 3 de l’ANC, se retrouve à avoir un double discours. En tant que ministre, il prône la mise à l’écart des mines du processus d’expropriation sans compensation, afin de poursuivre l’entretien de ces mines dans un contexte de rachat hypothétique.

La stratégie étant de donner une assurance politique forte aux compagnies qui gardent ces mines principalement pour une « optimisation fiscale ». De l’autre côté, Mantashes pousse à l’expropriation des fermes sans compensation et a annoncé récemment la limitation des hectares de terres pour chaque ferme. Cet exemple montre la difficulté à laquelle doit faire face le gouvernement, pris en tenailles entre la gronde des Africains, réclamant justice, et les impératifs économiques afin de ne pas déstabiliser l’Afrique du Sud plus qu’elle ne l’est.

En identifiant ces cibles dont très peu parlent, ces expertes de la question foncière n’écartent pas les terres cultivables, mais mettent plutôt l’accent sur celles qui, bien qu’ayant un fort potentiel, sont mal exploitées et pourraient permettre sans doute une tout autre forme d’exploitation agricole.

 

 MARIANNE SEVERIN

Originally posted 2018-09-07 02:58:42.