Afrique de l’Ouest : «Des habitants se sont déplacés une dizaine de fois en trente ans»

Date:

Share post:

Pour la chercheuse Florence de Longueville, les populations d’Afrique de l’Ouest touchées par les catastrophes naturelles et le changement climatique n’ont pas toujours les moyens de quitter leur ville ou leur village et tentent de survivre comme elles le peuvent.

Florence de Longueville, du département de géographie de l’université de Namur (Belgique), étudie depuis une dizaine d’années l’impact des catastrophes naturelles et du changement climatique sur les villes et villages d’Afrique de l’Ouest. Selon la chercheuse, «les populations concernées ont parfaitement conscience de la menace», qui crée «une peur, un stress général» dans les sociétés.

Comment la population s’adapte-t-elle à l’érosion côtière, et plus généralement aux conséquences du changement climatique sur les littoraux ?

Il faut rappeler que la cause première de l’érosion n’est pas le changement climatique, mais toute une série d’interventions humaines, par exemple la construction du port dans le cas de Cotonou (Bénin), sur lequel j’ai travaillé, les barrages, l’extraction de sable, etc. Mais le changement climatique va partout accélérer le phénomène : c’est déjà observable, mesurable sur les photos satellitaires. Quelles conséquences ? On s’imagine que puisque la terre disparaît, les gens vont partir. Mais nos travaux montrent que les seules personnes qui partent, ce sont celles qui en ont les moyens. Tous les autres sont coincés dans cette zone. Ils bougent, parfois de seulement quelques mètres, au gré de l’avancement de la mer. Nous avons rencontré des habitants qui se sont déplacés une dizaine de fois en trente ans. On ne peut pas parler de stratégie d’adaptation, c’est de la survie.

En Afrique, les habitants des côtes sont-ils les premiers touchés par les effets du réchauffement et de la montée des eaux ?

Ils ne sont pas plus touchés, ils le sont de manière différente. J’ai aussi beaucoup travaillé sur l’impact de la désertification au Sahel, qui a des conséquences considérables. Dans certaines zones d’Afrique, ce sont les inondations qui provoquent des déplacements de population, en particulier dans les villes, dans d’autres ce sont les sécheresses et la variabilité climatique. Mais à la différence de ces phénomènes saisonniers, irréguliers, qui peuvent laisser un répit à la population entre deux mauvaises années, l’avancée de la mer, elle, est irréversible. En cas de tempête, elle arrache tout d’un coup, en cas d’érosion, elle ne recule pas. Pourtant, paradoxalement, les zones littorales sont de plus en plus habitées. D’après le Programme des Nations unies pour l’environnement, les trois quarts de la population mondiale vivront à moins de 60 kilomètres des côtes en 2030. En Afrique de l’Ouest, une partie des grandes villes est située sur la côte, et elles attirent les ruraux. Sur la côte elle-même, on observe beaucoup de familles pauvres qui s’installent de façon anarchique dans des zones à risque, car il y a du terrain informel disponible. Mais aussi des promoteurs qui misent sur le développement du tourisme.

Peut-on déjà parler de migrations climatiques ?

Il y a beaucoup d’idées reçues sur cette question. Même dans les zones arides, on ne peut pas dire sécheresse égale migration. Ce n’est jamais aussi simple. Il y a toute une série de facteurs qui déclenchent la migration. Le facteur environnemental seul ne suffit pas. Il faut le relier à des causes économiques, politiques, culturelles, démographiques. Il est difficile pour un Occidental de mesurer cet attachement à la terre, mais en Afrique, couper le lien avec la terre des ancêtres, c’est une décision extrêmement lourde. Avant de se déplacer, les gens tentent souvent de s’adapter sur place, par exemple en diversifiant leurs activités économiques. Il existe d’autres stratégies que la migration. Celle-ci est rarement choisie en premier lieu. Elle est risquée et coûteuse. D’autant que la décision de partir est souvent prise après plusieurs années de mauvaises récoltes, quand tout a été tenté et que les réserves (alimentaires et financières) sont épuisées. Enfin, quand il y a déplacement, celui-ci s’oriente d’abord vers des villes secondaires, puis, si des opportunités se présentent, vers la capitale ou la grande ville.

Y a-t-il une prise de conscience de l’urgence, malgré le fait que les modifications environnementales s’inscrivent dans le temps long ?

Dans nos travaux, nous distinguons les événements rapides des événements lents. Les tempêtes, les typhons ne laissent aucun choix aux habitants. La sécheresse, l’érosion, ont des conséquences à plus long terme, mais les populations concernées ont parfaitement conscience de la menace, des changements climatiques en cours. Jamais, dans un entretien de terrain, quelqu’un ne m’a dit : «Tout est normal, tout va bien.» J’ai ressenti une peur, un stress général. Cette incertitude est un vrai obstacle pour construire une société.

Célian Macé

spot_img

Related articles

6 alternatives au café pour booster son énergie durant la journée

Le café, cet allié incontournable de nos matinées somnolentes, est souvent le carburant qui nous propulse hors de...

Voici pourquoi il faut se changer quand on rentre chez soi

Après une journée bien remplie à l’extérieur, rentrer chez soi est un moment de détente bien mérité. Sauf...

Le président Diomaye Faye dissout le parlement

Bassirou Diomaye Faye, le lundi 25 mars 2024, après avoir remporté l'élection présidentielle.

Abidjan accueille le symposium technique de la CAF

Ce rendez-vous de deux jours, organisé par la CAF et la Fédération Ivoirienne de Football (FIF), se déroulera...