À Vierzon, François Hollande dévoile ses horizons européens

François Hollande entamait ce mercredi à Vierzon, son cycle d’interventions dans les lycées de France sur les questions européennes. L’occasion de livrer son expérience européenne comme chef d’État et de dessiner l’avenir d’une puissance confrontée au Brexit.

« Chers lycéens, et si je venais vous voir ? L’idée m’est apparue nécessaire, quand je constate combien l’Europe est inconnue ou est incomprise ». L’ancien Président de la République, François Hollande, a proposé, à quelques semaines des élections européennes, de venir à la rencontre des lycéens du pays. À la fois pour témoigner de son expérience, celle d’un chef de l’État confronté à des crises (Grèce, Brexit, flux migratoires notamment), et « livrer des leçons qui pourraient être utiles aux plus jeunes face aux grandes interrogations : quelle Europe voulons-nous, et est-il possible encore de la garder telle qu’elle est ? ».

Ce mercredi, l’acte premier de ce cycle d’interventions dans les établissements du pays se déroulait à La Décale, à Vierzon, autour de deux cents élèves des lycées Henri-Brisson et Edouard-Vaillant. Un rendez-vous au cours duquel l’ancien chef de l’État a décliné, au-delà de son expérience, sa vision de l’Europe. Une Europe qui protège, qui « accueille dignement et de manière solidaire », qui « investit pour changer les vies ». Une Europe confrontée au Brexit et ne devant pas céder à la menace « du statu quo », a souligné François Hollande.

Une identité fondée sur un projet européen

« Qu’est ce que l’identité européenne? » La question n’a pas été la première posée à François Hollande par les lycéens durant cet échange de plus d’une heure et quart. Parce qu’elle pose la question de la construction européenne, des valeurs, de la manière de faire vivre un projet pensé à six et développé à l’échelle d’un continent, l’interrogation et, de fait, la réponse de l’ancien Président de la République auraient pourtant pu ouvrir ce premier échange.

« Ce n’est pas la géographie qui explique l’Union européenne, mais l’adhésion volontaire à des valeurs communes, des règles en commun, des monnaies que nous mettons en commun, et l’idée que nous appartenons à une forme de civilisation. L’idée européenne est d’abord un projet ; que voulons-nous bâtir ensemble que nous ne parviendrions pas à faire dans chacune de nos nations ? » Et d’énumérer plusieurs grands défis face auxquels l’Union européenne apparaît comme la bonne échelle d’action : la lutte contre le réchauffement climatique, l’accueil de réfugiés, ou encore la sécurité.

L’esprit de solidarité a manqué à l’Union européenne

Sur la question de l’accueil de réfugiés, François Hollande a mis en avant un regret : le manque de solidarité entre pays européens. « Quand les flux migratoires en provenance de Syrie ou d’Irak se sont amplifiés, nous nous sommes rendus compte que les pays assurant le premier accueil, et instruisant, en application des accords de Dublin, les demandes d’asile, n’étaient pas préparés à un tel afflux de population. En Italie, une crise politique est née de cette situation, et a abouti à l’arrivée au pouvoir de nationalistes, car l’Union européenne n’a pas tout de suite compris qu’il fallait que les pays membres soient solidaires. L’esprit de solidarité a manqué à l’Union européenne ces dernières années. Quand l’Allemagne s’est retournée vers les pays de l’Europe centrale pour qu’ils prennent leur part dans l’accueil de réfugiés, ces pays ne l’ont pas voulu. Ils en avaient le droit. Si on veut pouvoir faire face à d’autres flux migratoires, il faudra le faire avec dignité et dans la solidarité », a martelé l’ancien chef de l’État.

L’idée d’une défense européenne, relancée en fin d’année dernière par Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, a par ailleurs été abordée. François Hollande insistant sur le défi que représente la  perspective d’un désengagement américain pour l’Europe dont la politique de défense commune n’a jamais dépassé le stade embryonnaire, celui de la communauté européenne de défense, un projet mort-né au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.

Expliquant ne pas croire en la création à court terme d’une armée européenne, l’ancien chef de l’État entrevoit une coopération renforcée des armées des pays membres, à la condition d’un effort budgétaire partagé. « On doit aller plus loin vers une Europe de la défense sans pour autant créer une armée en tant que telle ». La perspective d’une mise en commun de l’arme nucléaire reste, aux yeux de François Hollande, inacceptable.

À quelques jours de sa mise en œuvre (le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne est prévu le 29 mars), le Brexit ne pouvait être absent des échanges. Cette décision de quitter l’Union européenne, fondée, a souligné l’ancien chef de l’État, sur une « contestation du principe de libre circulation des personnes », ouvrant une période d’incertitudes. La perspective d’un deuxième referendum alors que s’ouvre la possibilité d’un « no deal » est rejetée par François Hollande.

Au-delà du manque de respect envers les citoyens, un nouveau vote ne serait en effet à ses yeux pas pertinent. « Un pays a décidé de sortir de l’Union européenne. On voit quelles conséquences ce choix peut avoir. Si on n’apporte pas les preuves de l’utilité de l’Union européenne, on sera tous perdants. Là, nous voyons concrètement qu’il y a plus d’inconvénients que d’avantages à quitter l’Union européenne. Dans cette affaire, il faut aller jusqu’au bout ».

Des politiques menées par quelques pays autour du couple franco-allemand

Une Union européenne dont l’ancien Président de la République a estimé qu’elle ne pouvait être ambitieuse qu’à partir de politiques engagées à quelques pays, autour du couple franco-allemand. Une Europe à plusieurs vitesses, donc. « Peut-on aujourd’hui trouver, à 27 ou à 28, des politiques qui permettent de développer l’emploi et les nouvelles technologies, des politiques aussi ambitieuses que la politique agricole commune, qui permettent un sursaut européen ? Je ne le crois pas », a-t-il martelé. Comme chef de l’État, François Hollande avait déjà plaidé pour une reformulation du projet européen, qui passerait par une Union européenne à plusieurs vitesses.

À la condition de se concentrer sur quelques pays seulement, l’Union européenne peut porter, estime ainsi l’ancien Président de la République, des politiques ambitieuses, en investissant massivement dans des politiques qui changent les vies. « Ce n’est pas la règle des 3 % (un déficit budgétaire ne doit pas dépasser 3 % de la richesse nationale, ndlr) qui pose un problème aujourd’hui au sein de l’Union européenne, mais bien l’absence de politique d’investissement ». Notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique. François Hollande plaidant pour un grand plan pour l’écologie. Rappelons que l’économiste Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel ont récemment rédigé un plan qui permettrait à l’Union européenne de mettre la finance européenne au service de la transition écologique en s’appuyant sur une banque européenne du climat et un budget européen, doté de 100 milliards d’euros par an et financé par une hausse de la taxe sur les bénéfices.

Devant les lycéens de Vierzon, c’est une Europe ambitieuse et solide face aux puissances américaine et chinoise que l’ex chef de l’État a défendu. Après le refus par la commission européenne de la fusion entre Alstom et Siemens, au motif que ce rapprochement aurait créé une situation de monopole, François Hollande a mis en exergue la nécessité de pouvoir créer des géants européens à travers une révision des règles de la concurrence.

Autre défi à relever pour l’Union européenne pour François Hollande, celui de l’harmonisation fiscale entre pays membres. Une question de lutte contre les inégalités et contre la fraude fiscale. « Nous devons dire à l’Irlande : nous serons à vos côtés face au Brexit afin que vous puissiez continuer à commercer avec le Royaume-Uni. En contrepartie vous devez montrer que vous êtes Européens en acceptant les règles fiscales communes et en ne permettant plus que les Gafa (*) soient sous-imposés. Seule une politique européenne peut être efficace  ».

« Ne cédez jamais aux mauvais sentiments »

L’Europe était au cœur de ce premier rendez-vous avec les lycéens. Celle que François Hollande a vu se développer, se construire, celle qu’il a connue comme Président de la République, et celle dont l’avenir est à dessiner. L’échange avec les élèves de Vierzon a aussi été l’occasion de revenir sur un moment fort du quinquennat passé, le 13 novembre 2015, soir des attentats de Paris. « Ce soir là, je me suis demandé jusqu’où cela allait aller, comment cela pouvait s’arrêter. Je me suis demandé, aussi, quelle allait être la réaction des Français. Quel allait être le sentiment : l’indignation, la colère, la division ? Il y avait un risque de confrontation, donc un risque de fracas. […] Ma grande fierté, c’est que le peuple français a su faire bloc. La société française a tenu bon. »

De ce moment à part dans son mandat, François Hollande a tiré un enseignement, livré aux lycéens : « toute génération vit une épreuve qui marque à vie, au meilleur sens du terme. Vous avez vécu les attentats mais vous avez été plus forts. Vous ne devez jamais céder aux mauvais sentiments, et toujours vous élever. »

François Hollande sera demain à Nancy, pour poursuivre son cycle d’interventions dans les lycées. Il a annoncé qu’il suspendra sa démarche au moment des élections européennes, programmées le 26 mai prochain, afin de « ne pas interférer ». Il poursuivra toutefois son tour de France des lycées à l’issue du scrutin, puisque « l’Europe sera toujours là ».